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Chroniques d'un vieux bougon
9 février 2011

Question de société

 José Carreras, valeureux capitaine de la garde, vient d’apprendre de la bouche du Grand Prêtre Ramfis qu’il commandera l’armée du Pharaon contre les Éthiopiens. Verdi lui a donné une partition de choix dans son "Aïda". Il se montre d’autant plus à la hauteur de son personnage qu’il vient de rencontrer la belle Mirella Freni qui tient le rôle titre et qu’il lui déclame son amour. C’est à cet instant que des aboiements retentissent devant ma porte. Je me précipite. Je découvre une Hélène essoufflée mais arborant un large sourire.

« Je ne vous connaissais pas ce chien », lui dis-je en guise de bienvenue. 

« C’est Sébastien ! Il l’a appelée Lassie, comme celle de la télévision quand il était gamin. »

  La demoiselle n’est encore qu’une jeune colley d’Écosse ébouriffée et remuante mais déjà fort élégante. Je passe les doigts dans sa toison et m’apprête à regagner mon ordinateur où j’ai entrepris de travailler sur un manuscrit récalcitrant. Mais Hélène n’entend pas s’être déplacée pour si peu.

« Sébastien a emmené ses moutons dans le clos d’en bas et, en passant, il a vu vos volets fermés, alors il m’a appelé avec son portable… »

Ah, les miracles de la technologie !

« Je vous remercie de vous inquiéter, Hélène. Mais, comme vous pouvez le constater, je vais très bien. C’est seulement que je travaillais… »

« C’est que, voyez-vous, hier, il a dit que c’était une question de société !  Je suis responsable de vous maintenant. »

Me voici devenu "question de société" ! 

« Croyez-vous qu’ils vont me coter en bourse ? »

Hélène fixe sur moi un long regard réprobateur. « Je suis sérieuse. C’est à cause de la dépendance. »

Je suis donc élevé au grade de "grande cause nationale".

« Je suis très touché de sa présidentielle sollicitude ainsi que de la vôtre, Hélène. Mais je ne suis pas encore dépendant. »

« C’est à cause de vos volets fermés. Sébastien s’est inquiété. »

 Elle entreprend d’ailleurs de les ouvrir et je me dis que, dorénavant, il me faudra veiller à ne point changer mes habitudes si je ne veux pas l’alarmer inutilement. Je lui dois bien cette attention pour le souci qu’elle me porte. Tranquillisée, elle repart enfin, sa chienne dans les talons. Lorsque les aboiements s’estompent définitivement, Adèle sort à pas comptés de sa cachette et me regarde d’un œil interrogateur.

« Tu ne peux pas comprendre, lui dis-je. Il n’y a pas de chat plus indépendant que toi ! »

 L’émoi d’Hélène est cependant rassurant. Je me sens soudain moins seul si tant est que la solitude m’ait jamais pesé. Je me souviens alors avoir lu, il y a quelques jours, un article au sujet d’un Président de Conseil Général préoccupé de l’isolement de ses administrés Il ambitionne d’élever un rempart contre leur éloignement des Services Publics. Suis-je du bon côté de ce fameux rempart et sera-t-il aussi efficace que le fut, jadis, la ligne Maginot ? Il faut se méfier des remparts. Ils peuvent, certes, protéger mais ils peuvent tout autant séparer.

 José Carreras demande à la belle Aïda de le rejoindre. Mais, le soleil envahit ma maison et je n’ai plus le cœur à garder l’ombre. Dehors, je serai libre. (© Roland Bosquet)

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