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Chroniques d'un vieux bougon
10 février 2011

Adèle à Beaubourg

 Ce matin, Adèle m’a présenté, bien en évidence sur le pas de la porte, son dernier trophée. Le pauvre moineau se sera montré d’une bien grande imprudence en s’exposant ainsi à ses griffes de diane chasseresse. Elle s’est ensuite appliquée avec le soin qui lui est coutumier à lisser son épaisse toison d’hiver. Pour ce faire, elle s’est largement étalée devant la cheminée, m’empêchant d’en ôter les cendres. Comme je persistais à vouloir m’acquitter de cette tâche sans doute fort triviale à ses yeux, elle n’a pas hésité, le dos rond et la queue dressée, à émettre un long feulement de mécontentement. Comme si je pouvais ignorer qu’elle est la véritable maîtresse de cette maison ! Puis, montrant un royal mépris pour sa pâtée, (les chats sont impitoyables envers leurs domestiques) elle s’est enroulée sur son coussin de laine et s’est plongée dans sa sieste matutinale habituelle.  Mais je vois bien que son sommeil demeure factice et qu’elle me surveille discrètement entre ses paupières mi-closes. En fait, elle a surtout horreur de me voir quitter notre foyer plus d’une journée et je la soupçonne d’avoir remarqué la valise que je prépare. J’ai en effet décidé de monter à la Capitale. Je dois y retrouver un vieil ami rencontré jadis à l’Écluse (à moins que ce ne soit à la Contrescarpe)  alors que, comme beaucoup d’autres, nous fêtions nos vingt ans sur les barricades de la rue Racine.

 Aucune nostalgie, bien sûr, dans ma démarche. Elle s’est muée depuis bien longtemps en remords pour l’oubli où, trop souvent, nous avons relégué cette époque flamboyante de notre vie. Qu’avons-nous fait, en effet, de cet enthousiasme qui nous portait si haut ? Qu’avons-nous fait de nos espérances ? Qu’avons-nous fait de nos indignations ? Trop de réponses désagréables ou, au mieux, en demi teinte tomberaient comme un couperet sur le billot de maître Sanson. Mais peut-être que nous autres les "soixante-huitards", qui voulions avec tant d’ardeur porter l’imagination au pouvoir, peut-être rêvions-nous d’un monde par trop chimérique ? En tout état de cause, nous n’avons pas su, ou si peu, le traduire dans le réel !  

 Non, je ne m’autoriserai, en guise de pèlerinage, qu’une descente mélancolique de la rue Mouffetard suivie de la consommation d’un chocolat chaud devant l’église Saint-Médard. En fait, notre programme est à la fois trop simple et trop chargé pour que nous nous dispersions aux quatre coins du passé. Mondrian à Beaubourg, Roger Muraro et Liszt au théâtre des Champs-Élysées et, si le ciel est clément, un détour par le Jardin des Plantes pour le campagnard que je demeure, même à la Capitale. Programme éclectique s’il en est et propre à toutes les dérives mais les plans les plus élaborés ne sont-ils pas les plus fragiles ?

 Mais il me faudra, auparavant, convaincre Adèle que je reviendrai. Et si elle m’ignorait à mon retour ? (© Roland Bosquet)

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Commentaires
J
Tu vas à la capitale et tu me dis pas ?<br /> Avant de repartir vers Petit Bourg, je<br /> veux bien te revoir à Beau-bourg <br /> ;-)<br /> Oui en 68 nous avions l'ardeur , mais<br /> aujourd'hui nous avons toujours espoir<br /> et defendons les mes justes causes !<br /> amities.
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