Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Chroniques d'un vieux bougon
15 février 2011

Un ru de peu

 

 

ru      Á la radio, Sviatoslav Richter égrène les arabesques du fameux premier mouvement du quintette de Schubert, "Die Forelle". Un enregistrement datant de 1980 et ressorti des tiroirs l’an passé. Le Borodine Quartet qui l’accompagne apporte des éclairages auxquels je n’aurais pas songé. Ainsi, Berlinsky parvient-il magnifiquement à glisser avec son violoncelle des arômes capiteux au cœur même du lyrisme du compositeur. Ainsi Hortnagel, avec sa contrebasse, réussit-il l’exploit, pour une fois, de se montrer discret, ce qui permet à l’auditeur de savourer toute la virtuosité du pianiste. Subtils moments d’infinie délicatesse qui s’éteignent hélas trop rapidement lorsque, après que les musiciens aient jeté le dernier accord, le bonimenteur reprend ses discours savants. Malgré la brume matutinale qui baigne la combe, une furieuse envie de sortir me prend. Épaisse veste de velours, écharpe de laine et chapeau à larges bords, chaussures de marche et bâton de coudrier. Le ciel m’est témoin que je respecte ses exigences.  Je m’enfonce sans attendre dans le chemin de terre qui longe mon jardin. Il servit jadis aux paysans à remonter leurs charrois depuis la vallée. Il n’est plus guère utilisé aujourd’hui que par des cohortes dominicales de promeneurs, (on dit des randonneurs). Ils sont hélas plus souvent soucieux de leurs pieds qui s’échauffent que des plaisirs de la nature. Il est même arrivé que, plongés dans leurs âpres soucis de citadins, ils ne me remarquent pas alors qu’ils  ne déambulaient qu’à quelques pas de moi. Or, au bout de ce chemin creux, coule un ru de peu. Jailli des entrailles d’un amas rocheux accroché à mi pente quelques perches plus haut, il n’est encore à cet endroit qu’un humble filet d’eau, un brimborion en devenir. L’été pourrait, certaines années, lui être fatal. Il persiste cependant, s’entête, persévère, s’impose enfin avec les pluies d’automne. Á la reverdie, lové au cœur d’un lit douillettement tapissé de fougères grasses et repues,  il tourbillonne avec allégresse. Alors les jeux de lumière entre les ramées qui le dominent font de son cours un havre féérique pour elfes et farfadets. Mais la douceur, ce matin, a fait place à une course sauvage et serait-il plus large, le bougre, qu’il gronderait comme troupeau de gnous à travers la savane. Farouche et ombrageux, il court, il bondit, il saute avec audace et racle avec ardeur son rude lit de graviers. Fuirait-il quelque harde de korrigans établis dans le secret de la caverne qui l’a vu naître ? Déçu, finalement, de ce triste spectacle, je regagne ma tanière à pas lourds, la tête bourdonnante de cent réflexions contradictoires. La musique ouvre mille portes sur d’autres mondes. Mais lorsqu’elles s’en font complices, les brumes de l’hiver y mêlent les chimères les plus échevelées. Méfiez-vous dés lors de leurs effets maléfiques sur votre humeur ! "Mon chemin à peine gribouillé tout juste griffonné déjà me dépasse me poursuit me revient ", écrit André Duprat dans "Une mesure de Distance" (Éditions Gros-Textes). Mon chemin, ce matin, m’a entraîné en déshérence. 

(Suivre les chroniques du vieux bougon en s’abonnant à newsletter)

Publicité
Publicité
Commentaires
A
Porte-t-il un nom ce brimborion en devenir ?
Répondre
Chroniques d'un vieux bougon
Publicité
Chroniques d'un vieux bougon
Albums Photos
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Publicité