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Chroniques d'un vieux bougon
7 mars 2011

Silence dans la vallée

         Le ciel, ce matin, semble vide. Pas de croassements de choucas, pas de jacasseries de pies, pas d'appels éraillés de grues ou d'oies sauvages, pas de roucoulements de tourterelles. Pas même, au lointain, l'aboiement d'un chien ou le bêlement d'un agneau égaré. Pas de ronflements de moteur comme si tous les tracteurs étaient restés au garage. Pas même un mot, un cri ou un rire d'enfant. Pas de pleurs. Anne, Gaspard et Lucille ont rejoint, hier, la Capitale. La vallée, aujourd'hui, semble aussi déserte qu'un dimanche matin.

         J'ai surpris, juste avant leur départ, une conversation entre les deux enfants alors qu'ils tentaient d'araser les taupinières qui poussent comme des verrues sur les bords du talus. "Hou! T'es amoureuse!". "C'est même pas vrai!". "Si t'es amoureuse de Papet!""Oui, mais lui, il est vieux!" Lucille a quel âge ? Sept ans ? Huit ans ? A cet âge là, pense-t-elle, elle a le droit d'être amoureuse d'un vieux. Cela ne tire pas à conséquence puisque, justement, il est vieux. "Grand peine m'est advenue / Pour un gai chevalier que j'ai eu," pleurait déjà la Comtesse de Die à la fin du douzième siècle. La jeune Yseult, elle aussi, clamait haut et fort son amour pour l'ardent Tristan. Shakespeare, à son tour, mettait en scène la juvénile passion de Juliette pour le fringant Montaigu. Les amours seraient-elles réservées aux jeunes ?

         L'idéologie n'est pas nouvelle. Ecartez-vous, têtes chenues, les bonheurs de la vie vous sont désormais interdits ! J'en connais cent que les années seules apprendront aux jouvenceaux. Comment goûteraient-ils avant longtemps la fragrance désuète de la rose sauvage dans le vase posé au centre de la table, l'odeur enveloppante du gâteau qui cuit dans le four de la cuisinière à bois, la tendresse du coup d'oeil furtif jeté par-dessus les lunettes demi-lune, les pantoufles avancées dans la cheminée ? Conquérants aujourd'hui, ils apprécient leurs succès à leur nombre. Leur impatience leur en masque les amertumes cachées. Demain, à n'en pas douter, ils diront hier en soupirant. Comme leurs aînés. Mais voici que le silence de la vallée m'entraîne vers des abîmes que je n'ai guère explorés jusqu'ici. Est-ce ainsi que l'on nomme la nostalgi ? (Roland Bosquet)

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