La coucou et la télévision

       Le soleil est déjà haut levé lorsque j'entre en clopinant dans la cuisine. La chatte Adèle gratte avec impatience à la porte. Je lui ouvre et lui sers sa ration de poulet-gelée-carottes avec mille contorsions pour limiter au mieux les douleurs qui me traversent tout le corps. Par la porte entr'ouverte, s'engouffrent dans la maison les cent rumeurs de la campagne dominées aujourd'hui par le chant du coucou. Je suis quant à moi bien incapable de toute activité utile dans mon courtil. Point de sarclage ni de semis et moins encore de labourage. La déception me rend morose et de méchante humeur, asséchant du même coup toute autre tentation. Par dépit sans doute j'allume alors cet autre coucou qu'est la télévision.

       L'avantage avec les chaînes d'information en continu c'est, précisément, qu'elles n'exigent aucun effort particulier pour comprendre. Elles débitent avec la même indifférence les nouvelles les plus aberrantes comme les plus affligeantes. Ce qui les rend consommables à toute heure du jour. Si, par un hasard extraordinaire, les deux présentateurs dont on n'aperçoit guère que le tronc sont amenés à traiter d'un sujet un peu complexe tels les vagabondages d'un nuage radioactif, un expert dûment patenté apporte ses lumières. C'est ainsi que, selon celui-ci, le nuage n'est pas un vrai nuage et ce nuage qui n'existe pas est très peu_ mais alors vraiment très très peu_  radioactif. Au point que l'on peut se demander pourquoi le sujet est à la Une. Mais il faut bien occuper l'espace laissé disponible par la publicité. C'est ainsi que j'apprends que les voitures de la nouvelle génération sont plus grandes à l'intérieur qu'à l'extérieur. Ce qui est un exploit d'autant plus remarquable que le modèle que l'on nous expose est bradé pour un prix dérisoire. Puis l'on m'informe que les avions du Président ont encore bombardé les canons de Kadafou. Un grave député socialiste sollicité pour s'exprimer à ce propos s'alarme pour sa folle journée dans l'hémicycle. Un non moins grave député de droite, pour faire bonne mesure, le contredit sans vergogne au grand découragement d'un espiègle député du Parti qui cherche où stationner son automobile à essence.  Entendant cela, un député orné d'une belle moustache verte s'indigne  qu'il ne soit toujours pas obligatoire de venir à la Chambre en bicyclette. C'est alors que, sortie de nulle part, une forme apparaît. Serai-ce Paulette ? Non ! Il ne s'agit que du député d'un des Centres qui, remontant à longues enjambées les couloirs aux dorures républicaines, souhaite lui aussi causer dans le poste. Hélas, c'est précisément l'heure de la réclame. On l'écoutera en deuxième heure. La voisine de l'homme tronc, le doigt rivé à l'oreille, à moins que ce ne soit sur la temps, confirme d'un hochement de tête. Après l'étalage des yaourts amincissants, des produits de beauté pour cuisinière à gaz et des crèmes récurant qui effacent les rides, nous retrouvons le fameux nuage qui n'en est pas un. Il semblerait que les deux bonimenteurs n'aient pas tout à fait compris les explications du premier expert. C'est pourquoi un nouvel expert, sans doute tout aussi patenté, émet un nouvel avis qui se révèle être identique au précédent. A ceci près que le nuage pourrait ressembler à un nuage si c'était un vrai nuage !

          Tout cela n'est en fait que mascarade. Le coucou me paraît tout à coup beaucoup plus sympatique et j'éteins le poste de télévision d'un rageur signal de télécommande. (Roland Bosquet)