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Chroniques d'un vieux bougon
28 juillet 2011

Chloé aux yeux bleu de ciel

       Je coupe les fleurs fanées de mes rosiers lorsque je vois arriver devant moi une grande fille dégingandée au sourire infini. « Bonjour Papet ! » Elle m’applique sans autre manière un baiser appuyé sur chaque joue et se penche sur une rose qui semble vouloir se hisser jusqu’à elle: « Elles sentent bon ! »  Bien sûr qu’elles sentent bon, mes roses ! D’un long parfum légèrement épicé, soutenu d’une capiteuse note fruitée. Mais pour l’heure, mes satisfactions de jardinier sont de peu d’intérêt. Il me faut quelques secondes en effet pour reconnaître les yeux bleu de ciel de la petite Chloé. Je dis petite parce que la dernière fois que je l’ai vue, elle arborait tout juste huit ans, se méfiait des cerises cueillies sur l’arbre plutôt qu’achetées au supermarché et  se précipitait chaque matin pour ramasser les œufs dans le poulailler. Elle était tout naturellement devenue l’héroïne de mon roman "Les yeux de Chloé" (Éditions de Borée).

         La gamine au petit nez effronté et au sourire charmeur d’hier est devenue une adolescente un peu encombrée de ses bras trop longs et de ses jambes de porte-manteau de haute couture. Mais ses yeux n’ont rien perdu de leur éclat. Un milan se perdrait dans cette immensité si bleue. Son regard non plus n’a rien perdu de sa vivacité et la lueur ironique qui l’éclairait alors brille de la même intensité. « Ta mère, dis-je platement, elle… » Je n’ai pas trouvé  dérobade plus originale  pour masquer mon trouble. Le plaisir de la revoir, bien sûr ! Un flot d’images et de souvenirs me submerge d’un coup. Images de vie, de tendresse, d’appétit de savoir et de connaître, de prendre et de donner. Mais plaisir tellement tempéré par la prise de conscience du nombre des années ! Elle grandissait et mon crâne se découvrait. Sa poitrine pointait peu à peu sous son corsage et ma barbe blanchissait. Sa silhouette s’affinait et mon pas s’alourdissait. Nous nous rejoignons aujourd’hui dans une maladresse commune devant les obstacles. Mais elle les franchit en riant et moi je les contourne en bougonnant. « Ton père… ? »  « Je viens voir si tu as des œufs. Maman veut faire une omelette. »  Elle avait déjà l’art de ne pas répondre aux questions. Ou plutôt, elle feignait délibérément d’ignorer celles qui la dérangeaient. Mais elle était capable d’y revenir le lendemain ou trois jours plus tard. Et vous aviez soudain une réponse sans sa question. D’ailleurs, tout comme il y a six ans, elle se dirige d’autorité vers le poulailler. Un érable argenté le remplace au centre  d’une clairière cernée de jeunes charmilles. Elle s’arrête aussi brusquement et tourne vers moi un visage troublé. Tout comme il y a six ans alors qu’elle avait encore peur du coq. Et j’ai la désagréable sensation de vivre tout à la fois hier et aujourd’hui dans le même instant. Je m’ébroue gauchement pour n’en rien laisser paraître. Je ne voudrais en aucun cas gâcher son propre plaisir qui revient d’ailleurs aussitôt s’afficher sur son visage.

        « C’est moi qui vous invite, lui dis-je. Je ferai de l’omelette, si tu veux. Avec des ciboulettes et des petits lardons. Á moins que tu ne préfère avec des girolles… »  Revenir dans le détail du quotidien pour mieux enraciner la joie d’aujourd’hui. (© Roland Bosquet)

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