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Chroniques d'un vieux bougon
1 septembre 2011

La chasse au trésor

         Depuis une quinzaine de jours, une fièvre étrange s’est emparée de notre combe perdue au cœur des Monts. Camionnettes d’agriculteurs à la retraite, pétarous de chômeurs et 4X4 de beaufs parisiens en sillonnent les chemins à la vitesse du randonneur de Compostelle franchissant les Pyrénées. Nez au vent pour mieux saisir, sans doute, les effluves d’humus, les conducteurs, qui se prétendent tous natifs du Pays, scrutent les talus et les sous-bois avec application. C’est que les pluies d’orage du mois d’août ont certes perturbé les récoltes déjà altérées par la sécheresse de mai et de juin mais elles activent aussi le regain. Les prés reverdissent et dans l’ombre des frondaisons, cèpes et girolles jaillissent de la mousse gorgée d’eau. Avant le lièvre, le lapin, le faisan, la perdrix ou la caille, la chasse aux champignons est ouverte.

         La transe qui s’empare ainsi chaque année de l’homo sylvicus remonterait à la nuit des temps sinon même bien avant selon Alexandre Vialatte. Elle daterait de l’époque où l’homme se nourrissait essentiellement de fruits et de racines au risque  de se faire croquer par les loups, les tigres et autres prédateurs carnivores. Sa survie n’était donc pas de tout repos et l’angoisse qui le faisait alors trembler affecte encore aujourd’hui ses successeurs. On les reconnaît d’ailleurs d’emblée à l’aspect simiesque de leur profil, à la course anxieuse de leur bâton de coudrier censé éloigner les vipères mais servant surtout à impressionner les concurrents et à la taille du pochon (on parle également de sachet ou de sac selon les régions) qu'ils serrent entre leurs doigts crochus. Chaque cueilleur, de nos jours, à ses coins préférés qu'il est le seul, du moins le croit-il, à connaître l’emplacement. Le secret en est d’ailleurs précieusement entretenu. Il ne sera transmis, au mieux, qu'aux héritiers considérés comme vraiment dignes de les exploiter et d’en sauvegarder la confidentialité. Rarement au fils parti travailler à la ville et qui se contente de ne récolter que les bocaux de conserves confectionnés par l’épouse restée à la maison. Un petit fils peut être estimé assez sérieux ou, à défaut, un gendre méritant ou suffisamment flatteur. Nombre de caches secrètes tombent ainsi chaque année en déshérence faute de successeur jugé sûr. Mais les champignons ne seront pas perdus pour autant  dans la mesure où, à leur insu, les cueilleurs partagent souvent ces mêmes endroits cachés. On dira, qu’après tout, une promenade en forêt s’inscrit non seulement dans la préoccupation écologique de tout bon citadin  normalement constitué mais permet également de respirer le bon air des arbres. Il n’y a là qu’apparence. Les propriétaires des forêts, bois, bosquets et autres buissons récoltent souvent, les grands froids venus, de belles provisions de pochons, sachets et autres sacs en plastique non biodégradable négligemment abandonnés sur  le champ de bataille. Car la démarche du cueilleur n’est en aucune manière idéologique. Elle peut, parfois, se justifier par la merveilleuse saveur d’automne du bolet commun ou de la girolle jetée dans l’omelette. Elle ne fait surtout que répondre à cette antique pulsion animale remontant à la nuit des temps et poussant l’homo sylvicus à accumuler, tel un écureuil qui ne serait pas oublieux, en prévision des jours de disette. Le mâle dominant pourra alors continuer à faire prévaloir ses droits du fait qu'il demeure en mesure d’assurer la pitance de sa couvée.

         Je ne suis pas, quant à moi, un fanatique de la cueillette de champignons. Mon courtil, mon jardin potager et le parc qui les entoure sont idéalement cernés de bois, champs, enclos herbeux et sentiers perdus où la nature laisse libre cours à sa générosité. Ce qui me permet de respecter le règlement concernant les  fameux cinq fruits et légumes par jour en m’évitant de consommer du cèpe à chaque repas jusqu’à épuisement des réserves. Quant aux girolles, on peut pareillement diversifier l’accompagnement de l’omelette avec, par exemple, une pincée de truffe noire du Périgord, un voile de ciboulette, du fromage de chèvre frais des Charentes ou de l’échalote verte de Louisiane coupée en fines lamelles. Les champignons en général et les cèpes en particulier ont par ailleurs la méchante habitude de se dissimuler à mon approche. Mais sans doute est-ce là un simple réflexe de survie remontant à la nuit des temps, sinon plus avant encore. Il me faudra, un jour prochain, consulter Alexandre Vialatte à ce sujet. (© Roland Bosquet)

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