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Chroniques d'un vieux bougon
3 octobre 2011

Le printomne ou l'été indien

       Déjà les feuilles des noisetiers s’étiolent et dessinent dans les haies des taches d’un jaune délavé. Rien à voir avec les brillants écus d’or qui tombent en pluie légère des charmilles au moindre filet de brise. Mais signe cependant que l’été s’en est allé même si le soleil veut croire encore aux beaux jours. Les petits passereaux, qui ne s’en laissent pas conter, ont déserté mon courtil. Les merles sont restés et pillent allègrement les baies de l’oranger du savetier qui éclairent la terrasse de leur rouge vif. Restés également le couple de pigeons qui ont élu domicile dans les sapins et les pies jacassières qui hantent les fayards. Aperçu un renard se faufilant dans les buissons à mon approche alors que j’allais donner leur friandise aux chèvres naines. Entendu les aboiements des chiens et les appels des chasseurs à la recherche d’un faisan affolé ou d’une compagnie de perdrix. Signe incontournable de l’arrivée de l’automne.

     Certes, les savants climatologues et autres météorologistes avertis ne reconnaissent que deux saisons : l’été et l’hiver. Ce serait d’ailleurs manquer d’esprit de sérieux que contester leurs savoirs. Pourtant, la réalité nous enseigne que le nombre de saisons est sans doute infini. Le printemps et l’automne, qu'ils qualifient d’intermédiaires paraissent d’évidence au simple promeneur comme au plus distrait jardinier. Lorsqu'ils s’inclinent et s’ouvrent les narcisses marquent de milliers de points jaunes le départ du printemps et le retour de la grive musicienne. Lorsque les feuilles des sumacs de virginie se teintent de safran et celles de la vigne vierge de pourpre argenté,  elles témoignent sans conteste de l’arrivée de l’automne avec ses brumes matutinales au-dessus des étangs et ses soirées tronquées dès que les cloches de l’église du village sonnent l’angélus du soir. Mais il arrive que le soleil, par on ne sait quelle aberration administrative, n’ait pas été informé de ces modifications. Alors, se croyant encore au cœur de l’été, il réchauffe l’air comme pour un quinze août. Et experts et érudits se réunissent autour d’une table. C’est la faute à l’anticyclone disent les premier redoutant de se voir désignés comme bouc-émissaires. Cette situation s’est déjà produite en 1725 affirment les seconds. Déjà, les Chaldéens s’en plaignaient ajoute un archéologue en brandissant une tablette d’argile couverte de signes cabalistiques. Messieurs, messieurs, intervient la présentatrice de la rubrique météo, près de dix degrés au-dessus des normales saisonnières, ce n’est pas rien ! Il faut savoir que, dans son jargon, normal signifie habituel. Or rien n’est jamais habituel en la matière. La "normalité" réside précisément dans le changement. C’est ainsi qu'une journée d’automne peut ressembler furieusement à une journée de printemps avec son matins éclairé d’un soleil bas sur l’horizon, des brumes légères comme un fil d’araignée, des clos rutilants à l’herbe d’un attendrissant vert tendre et des haies à-demi nues recroquevillées sur leur impudeur. Mais comment désigner cette semaine entière de printemps égarée en automne ? Il faudrait réunir des philologues, des grammairiens, des étymologistes, des lexicographes, des puristes et des sémanticiens autour d’une table afin qu'ils étudient les propositions envoyées par les paralytiques et les enfants des écoles. Quant à moi, je suggère dès à présent de l’appeler semaine de "printomne". D’une semaine de début de vendanges ressemblant à sa cousine de juin on parlerait d’été indien. D’un week-end de départ sur les routes de transhumances estivales aussi froid et pluvieux qu’un week-end de Toussaint avec chrysanthèmes on nommerait la saison l’"étomne". Le jeu pourrait continuer assez longtemps pour meubler une soirée d’hiver. Car l’hiver ne peut être confondu avec aucune autre période de l’année avec ses gelées dites fort justement hivernales et la neige qui recouvre les clos d’une blancheur virginale et habille enfin les haies de lumineux flocons.

         Les savants climatologues et autres météorologistes emplis jusqu’au front d’un esprit de sérieux incommensurable balaieront d’un revers de la main cette poésie de quatre sous. Je les ignore et m’installe confortablement dans mon fauteuil. L’adagio du quatuor à cordes en si mineur de Samuel Barber répand ses accords larmoyants à souhait dans le moindre recoin de ma maison. J’ai décidé de méditer cette phrase de Jean Cocteau : « la vraie jeunesse ne s’acquière qu’avec l’âge ». (© Roland Bosquet)

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