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Chroniques d'un vieux bougon
5 janvier 2012

Bonheurs céans

       De traverse ou d’océan, les vents ont balayé la campagne et les vallées. Dans les maisons recroquevillées devant l’âtre, grasses bombances ou agapes raffinées ont escorté la nuit du "tournant du soleil". Des averses de cadeaux sont tombées au pied des sapins. Bien sûr, la corne n’a pas déversé partout ses ripailles et ses présents en égale abondance. Nombre de sans-logis ont du se contenter d’un bouillon maigre et d’une orange avant de regagner leur abri de carton ou leur porte cochère. Chacun a tenu, malgré tout, à marquer le jour d’une friandise ou, au moins, d’un sourire plus chaleureux encore envers les enfants. Quelques jours durant, quelques heures, chacun a repoussé les soucis et des bouffées de tendresse ont fait scintiller les yeux.

       Et des bouffées d’amitié aussi pour Hélène, Sébastien, Sarah, Kévin et moi qui nous sommes retrouvés comme chaque année au Mas du Goth pour fêter la nouvelle an. Comme chaque année, chacun est arrivé pesant comme un roi mage. J’ai apporté la poignée de gui, le messager de prospérité, que j’accroche sans attendre au-dessus de la porte de notre hôtesse. Sébastien a arboré une belle brassée de houx garni de ses boules rouges pour célébrer la pérennité de la vie. Traditions païennes  s’il en est ; mais qui promettent selon les légendes bien des "bonheurs céans". Avec des gestes de prestidigitatrice, Hélène a sorti de son cabas un cuissot de sanglier baignant depuis une nuit entière, a-t-elle expliqué, dans sa marinade de vin rouge, de carottes, d’oignons, de persil, de laurier et, cette année, des baies de genièvre pour faciliter la digestion. Tandis qu’elle se retirait à l’office en compagnie de Marthe pour lui détailler sa recette, Kévin a débouché une modeste bouteille de Saint Estèphe des Hauts de Pez 2009 et Sarah a disposé les couverts sur la rituelle nappe blanche brodée à la main par, selon Marthe, sa propre grand-mère. Accroché à la cheminée comme un noyé à sa planche de salut, Thomas observait avec distance cette agitation qui lui donnait un peu le tournis. Mes mains sont vides, semblait-il s’excuser en les frottant l’une contre l’autre au-dessus de la flambée comme pour les réchauffer. J’ai remarqué que la fatigue et les privations creusaient peut-être un peu moins sa poitrine.  Á moins que cette impression ne soit due au chandail de grosse laine que, manifestement, Marthe achevait tout juste de tricoter ! Ses joues, en tout état de cause, se sont arrondies sous la barbe toujours aussi broussailleuse. Pour se donner une contenance, il a chaussé les galoches de bois qui ont dû appartenir à l’ancien maître de maison et est sorti pour revenir aussitôt chargé d’une bûche de fayard qu'il a déposé sur les chiennets de fonte. Aurait-il, finalement, trouvé sa place dans cette maison ? Lorsque les premiers signes de reverdie apparaîtront nul doute pourtant que ses vieux démons picoteront de nouveau de ses mollets de vagabond et qu'il ne résistera guère à la sollicitation des chemins ! Hélène nous a ensuite rejoints pour poser sur la radio-cd les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach par Blandine Rannou au clavecin. Les premières mesures m’ont surpris. J’ai, ancrées dans l’oreille, non seulement les interprétations de Glenn Gould bien sûr, mais aussi celle, exceptionnelle, de Hantaï. Elle propose aujourd’hui une lecture fort différente qui, d’emblée, déconcerte. Mais Marthe nous a convié à "passer à table". Puissent le compositeur et l’interprète nous pardonner de nous consacrer, surtout, au plaisir de partager un repas entre amis !

        Á l’heure de l’inévitable tarte aux reinettes clochardes, nous avons échangé nos cadeaux. Thomas m’a offert une pipe sculptée dans une racine d’orme digne de Gargantua. Je l’en ai remercié avec chaleur au milieu des rires. N’est-ce pas là en effet la moins mauvaise manière sinon la meilleure d’aborder l’année qui arrive ? Que l’on regarde côté cour ou côté jardin, la pantomime sera la même. Aux bouffées d’espérances on répondra par des fantasmagories. Le théâtre qu'on nous annonce se révélerait comique si ses effets ne risquaient pas d’être si lourds pour les plus fragiles et les plus démunis. Mais au diable ces tracas à venir ! Souhaitons que la poésie et la musique nous réapprennent la beauté et la tolérance. Et peut-être même la bonté ! (© Roland Bosquet)

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