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Chroniques d'un vieux bougon
12 janvier 2012

L'enfant de la neige

      Sur la terrasse, les mésanges déploient des stratégies complexes pour éloigner les merles des boules de graisses et des graines que je laisse à leur intention. Un groupe de choucas à la poursuite d’une buse traverse mon courtil en direction des bois voisins. Le ciel, au-dessus d’eux, est d’un bleu transparent et la brise, délicate, effleure à peine la cime des bouleaux. Mais un tapis argenté recouvre l’herbe de la pelouse et l’air fringant pique les joues. J’ai gagé une partie de ma nuit à poursuivre un enregistrement de motets du douzième et treizième siècles de l’ensemble Diabolus in Musica. Je l’ai finalement débusqué baguenaudant le nez en l’air entre le Nabucco de Verdi et les Quatre Saisons de Vivaldi. Au réveil, j’ai posé sa "Chambre des dames" sur la chaîne afin de m’imprégner de l’ambiance de ces polyphonies médiévales tandis que refroidit mon bol de chocolat. Je veux me créer les meilleures conditions pour me plonger dans le dernier conte d'Henri Gougaud, "L’enfant de la neige".

      Jongleur de mots et trousseur de rimes, Jaufré Le Trouvé se veut en effet troubadour pour faire briller les yeux des petites souillons qui peinent dans les auberges et des gentes dames qui rêvent dans les châteaux des seigneurs. Mais le sévère prieur qui l’a élevé ne lui a pas tout révélé de ses origines et au retour d’une longue escapade où il a appris à rimer avec un maître de Montpellier, il va devoir découvrir la réalité d’un passé douloureux. Au risque de bouleverser la vie tranquille de ceux là même qui lui ont tant donné, son demi-frère Alexis, le luthier qui lui a enseigné la musique, la bonne servante qui l’a dorloté contre son sein.

        Henri Gougaud est, lui aussi, de ces forgeurs de mots qui excellent à tricoter la langue pour en extraire la poésie. Avec lui, le quotidien de cette terrible époque de l’inquisition et des bûchers devient à la fois très présent et auréolé du souvenir de ce verbe bâti de chair et de sang. Car la rigueur de la doctrine de l’Église envers ses sujets n’a d’égale que leur amour de la vie et bien qu’empreints de foi chrétienne jusqu’aux tréfonds de leur âme ils cultivent  aussi le doute. Et nous vivons avec eux la recherche de la vérité dans l’histoire de la petite ville de Pamiers au cœur du pays Cathare. Chaque mot, chaque phrase, chaque dialogue explorent les chemins de traverse, reviennent sur leurs pas, s’égarent dans des détours aussi lumineux que toutes les phrases des plus grands philosophes. Au lecteur de se laisser emporter hors des sentiers battus pour retrouver, en lui, les mêmes attachements aux êtres et les mêmes réticences envers les institutions. "Indignez-vous" écrit Stéphane Hessel. Jaufré Le Trouvé, lui aussi, ne se contente pas des apparences. Il fouille la vérité, les vérités des uns et des autres, et bouscule l’ordre établi au nom de l’amour qu’il porte à ceux-là mêmes qui ont reconstruit son histoire pour l’épargner et s’épargner à leur tour. Il découvrira d’ailleurs l’amour, non pas dans un de ces châteaux où il chante ses vers mais auprès d’une autre Trouvée qui épuise son sourire sous les ordres d’une mégère aubergiste. En sa compagnie, il reprendra la route avec son luth pour semer dans les yeux des femmes des étincelles de joie et de plaisir. Et la dernière page tournée, le lecteur satisfait de l’issue sans réelle surprise de l’intrigue se replonge tout aussitôt dans cet univers pour en savourer de nouveau le souffle et l’authenticité.

      « La voix de Thomette, complice, emplissait enfin la pénombre d’images aimées, familières, et derrière les yeux demi-clos de l’enfant s’allumait le rêve attendu ». La voix d'Henri Gougaud emprunte les mêmes accents pour nous dérouler l’histoire de Jaufré. Tendre et étincelante, gorgée de sourires ici, austère parfois ou grave et tendue soudain mais toujours proche du cœur. « Le jour se leva. Soudain un énorme éclat de rire retentit. Il déracina presque tous les arbres » écrit-il en citant Rabbi Nachman. Ce grand éclat de rire du petit peuple devant les gesticulations de l’Institution pour asseoir son pouvoir. Le grand éclat de rire d’un peuple finalement libre. (© Roland Bosquet)

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