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Chroniques d'un vieux bougon
16 janvier 2012

Le secret de Mathilde

      C’est décidé. C’est la dernière fois que j’écris le mot fin de ce roman "Le Secret de Mathilde ". J’avais déjà pris semblable décision en achevant sa première réécriture. Mais rencontres et conseils avisés m’avaient convaincu de tout reprendre ou presque. J’ai donc replongé, les six derniers mois, au cœur de l’histoire des Mérovingiens. En réalité, je me suis concentré sur le mois de novembre de l’an 635. J’ai mangé, bu et dormi en compagnie de Foulques le marchand de laine et de ses amis. J’ai veillé avec eux pour surprendre les traîtres, bataillé à leurs côtés pour protéger les faibles et les opprimés et admiré les ors et les safrans de l’automne sur les frondaisons d’ormes et de fayards des vastes forêts lémovices.

        Vivre ainsi entre deux mondes tiendrait presque de la schizophrénie. Transporté presque mille quatre cents ans en arrière, je chevauche avec mon héros sur l’antique voie romaine reliant Lugdunum à Burdigala et mes doigts courent sur le clavier de mon ordinateur pour décrire ses émotions, ses attentes et ses craintes. Le téléphone sonne alors que mon héroïne, qui ressemble à s’y méprendre à une récente locataire en chambre d’hôte de mes voisins, se réfugie dans la forêt dans l’espoir d’échapper aux sicaires qui la poursuivent. « Bonjour. Je suis Jean Martin et je suis très heureux de vous parler des économies d’énergies ! » Á moins qu'il ne s’agisse d’assurance, de volets isolants en plastique, de placements garantis _ si, certains osent !_ de réduction de ma facture d’eau ou plus prosaïquement du couvreur du village qui me rappelle qu’il viendra le lendemain ramoner ma cheminée. Donc, elle courait et les larmes coulaient sur ses joues en feu… « Finissez d’entrer ! » Le facteur frotte machinalement ses pieds sur le tapis de l’entrée de la cuisine, lance un "ne vous dérangez pas" tonitruant et ressort en claquant la porte. Sur la table gisent une belle provision de prospectus publicitaires, un avis du percepteur au sujet du compteur d’eau et une invitation à faire un don pour une ONG implantée au Burundi. Il se vêtit de braies coupées dans un bon drap de Frise, jeta une gonelle de laine sur sa chainse rapiécée, chaussa ses bottes de cuir qu’il laça fermement, vérifia la présence à sa ceinture du réticule de cuir contenant la pierre à silex et le brin d’amadouvier et glissa son long couteau (le scramasaxe) dans son fourreau. C’est alors que retentit de nouveau la sonnerie du téléphone. J’achève d’écrire ma phrase et me précipite. Trop tard, le correspondant, lassé d’attendre, à raccroché. Au moment où je vais rejoindre ma chaise devant l’ordinateur, j’aperçois une ombre sur la pelouse. J’avance jusqu’à la fenêtre. Il ne s’agit que d’une pie qui fouille la taupinière apparue ce matin au beau milieu du carré d’herbe que j’ai ressemé en septembre. Je m’installe devant mon clavier.  Assis sur une souche de fayard mangée par le lierre, le vieil homme vêtu de haillons semblait dormir. Les fougères dessinaient autour de lui un riche écrin de safran tandis que ses pieds nus foulaient un épais tapis de feuilles de bouleaux qui tels des écus d’or brillaient de mille feux sous le soleil changeant. Au moment où Foulques l’atteignit l’homme se réveilla brusquement et agrippa le téléphone. « C’est Marthe Dumas. Vous ne devineriez jamais ce que Thomas a fait… » Pendant ce temps, le cheval de mon personnage attend toujours son cavalier, les méchants ont parcouru deux lieues au moins en direction du couchant et mon héroïne, trop essoufflée pour poursuivre sa course, s’assoit au pied d’un chêne centenaire et pleure de vraies larmes de peur et de chagrin.

       Mais déjà, les cloches de l’église du village sonnent les douze coups de sexte. Résigné, j’abandonne là mon ordinateur en négligeant, bien entendu, de procéder à la moindre sauvegarde, et me plonge dans la confection d’un menu simple et rapide. Tout en songeant que ce matin, mon ouvrage n’a guère avancé que d’une courte demi page qu'il me faudra, de toute façon, relire et raturer copieusement sinon reprendre en sa totalité. Ainsi vont les joies de l’écriture qui n’atteindra d’ailleurs jamais son terme tant l’auteur a l’impression, et si souvent avec raison, qu’il peut l’améliorer encore et encore. Pour "Le Secret de Mathilde" ne reste plus désormais que le "bon à tirer" pour l’imprimeur avant la sortie prévue pour le mois de mars prochain. (© Roland Bosquet)

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