Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Chroniques d'un vieux bougon
2 février 2012

L'enquête russe

La neige recouvre mon courtil et le givre blanchit les frondaisons dans un ciel d’une pureté évangélique. Mais je me lève, ce matin, avec la nauséeuse impression d’avoir riboté toute la nuit. Un escadron complet de chevau-légers arpente mon crâne à grand claquements de bottes. Cents charrois croisent en grande clameur les fardiers qui encombrent les rues et les marchands ambulants qui vantent à hauts cris leurs marrons chauds. J’ai écouté, hier soir, l’ouverture opus 36 de la "Grande Pâque Russe" de Rimski-Korsakov avec Evgeny Svetlanov au piano et le Philharmonique de Londres faute de vivre à Nantes l’excitation de sa "Folle Journée". Ce détour ne mérite pas une telle punition ! La réponse m’est apportée par l’état de désordre de la petite table de mon salon. Une tasse à café  à moitié vide, un paquet de biscuits secs éventré entouré de miettes et, surtout, un livre exhibant sans vergogne sa quatrième de couverture : "L’enquête russe" de Jean-François Parot publié chez Jean-Claude Lattès !
Nicolas Le Floch, commissaire du Roi, s’y lance dans une nouvelle enquête dans le Paris du XVIIIe siècle. Secondé par son fidèle Bourdeau, il va devoir dénouer les liens secrets et improbables tissés autour du séjour incognito du tsarévitch Paul, le fils et héritier de la Grande Catherine II, impératrice de Russie. Avec lui, nous découvrons la scène du crime, horrible bien sûr, et les témoignages énigmatiques des valets, commis et tenanciers. Comme lui, nous recueillons sur un petit calepin les rares indices surtout riches de questionnements. Accrochés à son fiacre, nous nous transportons au Châtelet au milieu des embarras d’une capitale en effervescence. Nous y menaçons de la question les suspects récalcitrants et nous procédons aux ouvertures en basse-geôle. Puis nous le suivons du quai de Gesvres à la rue des Coquilles aussi sûrement que si son vrai maître, Jean-François Parot, avait eu accès à la mémoire de son GPS. Nous l’accompagnons à Versailles où nous dansons avec la reine Marie-Antoinette. Nous visitons l’ancien ministre de la police, le célèbre Sartine, qui tire les ficelles dans l’ombre. Nous interrogeons les mères maquerelles en leurs maisons qui le renseignent selon leurs intérêts. Nous jouons de cour avec des nobles arrogants, de flagornerie avec les diplomates et de caniveau avec les tire-laines et les coupe-jarrets. Mais le soir se pose sur la ville. Alors, entre nous, nous brassons de nouveau les faits, nous énumérons nos ignorances, nous analysons nos incertitudes. Et pour nous rabibocher avec notre estomac qui esclabaude avec éclat, nous fréquentons, en commensaux de bon aloi, le tripot de la mère Morel pour y ingurgiter des tétines de vaches à l’encerisée ou l’hôtel de monsieur de Noblecourt, ancien magistrat, dont la table est particulièrement raffinée. Car Jean-François Parot, fin gourmet, met un point d’honneur à poser là, de temps à autre, remuements clandestins et dévoiements criminels pour s’attabler autour des bons plats confectionnés par une Catherine digne plus grands chefs étoilés d’aujourd’hui. Aucun apprêt ne nous est épargné. Mais l’inconvénient de la sauce est que tout cela est rapporté dans le langage chantourné qui aurait été pratiqué alors. Hélas, Excellence, on ne cause plus ainsi dans nos campagnes et moins encore dans les arrières cités de nos villes. Si tant est qu'on y ait jamais dégoisé ce galimatias qu'il nous faut reprendre à deux mains pour être bien assuré d’en circonscrire le sens. Et l’heure passant, la céphalée s’installe, prospère et se répand. Et c’est là que Jean-François Parot nous montre toute sa malignité. Il nous tricote en effet au fil des cinq cents pages de son roman une intrigue magistralement ficelée, aux rebondissements nombreux et bien situés. Empêtré dans ses rets bien serrés, le lecteur ne peut se dérober. Au risque, sinon, d’en déboîter sa raison tant elle en sera accaparée. J’avoue n’avoir pas eu la force de poser là l’ouvrage. Il me fallait, à tout prix, aboutir à la conclusion. Ne me reste plus, ce matin, qu'à tâter de l’antalgique.
       Sur la chaîne, défilent quelques airs intemporels de Tchaïkovski comme sa "Symphonie Pathétique" et autres "Lac des Cygnes". Enfoui au plus profond de mon fauteuil devant ma tasse de chocolat qui embaume l’air de chaudes sensations de plénitude, je me laisse envahir. La tête vide, cette fois, de tout fracas. (©Roland Bosquet)

Publicité
Publicité
Commentaires
Chroniques d'un vieux bougon
Publicité
Chroniques d'un vieux bougon
Albums Photos
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Publicité