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Chroniques d'un vieux bougon
13 février 2012

Berbères, Sépharades et Catholiques, ensembles

      Je réveille les braises de la cheminée endormies sous leur cendre et ajoute une petite bûche de pommier à l’habituelle poignée de noisetier. La flambée crépite bientôt, embaumée d’une douce odeur de miel. Á la radio, Christophe Bourseiller cède le micro à Thierry Beauvert pour son billet matutinal. Pendant que tiédit mon bol de chocolat enrubanné de vapeurs du cacao, j’ouvre le volet de la fenêtre donnant sur la terrasse. Un mauvais vent de bise chargé de froidures sibériennes bouscule les futaies ornées de festons de givre et mon courtil arbore toujours son glacial tapis de neige argenté. Encore une journée d’enfermement  en perspective pour cause de gel ! Je visite cependant les chèvres naines recroquevillées dans leur bergerie. Elles se précipitent sur leur friandise. Je casse la glace de leur abreuvoir et ajoute du foin dans leur râtelier. Elles m’ignorent tandis que je gagne la volière des pigeons ébouriffés dans leurs niches. Je rejoints la mienne en grommelant. Á la radio, Denisa Kerschova  annonce une visite des jardins de la Sierra Cordoba avec Manuel  De Falla et l’orchestre Ciudad de Grenade. Quoi de mieux qu'une mélodie espagnole pour réchauffer l’atmosphère ? J’ai eu l’occasion d’en vérifier l’efficacité, il y a quelques soirs, à l’occasion d’un concert dans la ville voisine.

        La Compagnie Canticum Novum a en effet transporté ses trois cents spectateurs en l’an de grâce 1267. Tandis que notre Saint Louis national se préparait à partir une dernière fois en croisade contre les infidèles de Tunis, Alphonse le dixième, roi de Castille asseyait définitivement son pouvoir. Mais plutôt que de violence et de coercition comme souvent à cette époque, il choisit alors d’illuminer son règne de sagesse et de tolérance. Avec Canticum Novum nous suivons ainsi Hayim, jeune calligraphe juif, au cœur des ruelles de sa ville de Tolède. Nous découvrons une communauté où Juifs séfarades, Berbères musulmans et Chrétiens non seulement vivent en paix mais composent, écrivent et chantent ensembles. Emmanuel Bardon et ses musiciens  nous font revivre cet âge d’or à travers sa musique. Créée à la croisée des chemins des trois cultures, elle se révèle aussi actuelle qu'il y a huit cents ans. C’est avec un plaisir manifeste que percussions, nyckelharpa, vièle, ouds, kanun ou flûte à bec nous transmettent les Cantigas de Santa Maria avec leurs airs entraînants, sensibles ou soyeux et leurs chants méditatifs. Ils nous enseignent par ce répertoire issu de cet îlot unique de partage que les deux rives de la Méditerranée peuvent se rejoindre.

       Il sourd cependant de cette évocation une nostalgie presque désespérante. Cet art de vivre en harmonie pourrait-il un jour renaître ? Le monde arabo-andalou du treizième siècle est bien éloigné des fracas qui  secouent celui d’aujourd’hui. Qui se souvient des "muwashshah" du poète aveugle de Cabra ou des "zéjeles" bucoliques de Ibn Quzman ? Trouvent-ils encore quelque résonance au milieu des affrontements sanglants qui séparent les anciens voisins qui coexistaient alors dans une si belle intelligence du cœur ?  L’art en général et la musique en particulier peuvent-il jouer un réel rôle pacificateur ? Entre autres rêveurs, Daniel Barenboïm et Edward Saïd  l’espèrent. Ils réunissent chaque année, dans le cadre de l’"Orchestre Divan occidental-oriental", prés de quatre-vingt jeunes instrumentistes d’Israël et des États arabes avoisinants pour étudier et  interpréter les grands airs classiques. Outre le plaisir évident de ces jeunes interprètes à travailler ensemble et à faire partager leur utopie, cette tentative peut-elle réellement permettre un jour d’apprivoiser les faucons de tous bords ?

          Pour rester dans cette ambiance musicale, je mets sur la chaîne les "Goyescas" d’Enrique Granados interprétées par Luis Fernando Pérez. Après Alicia Larrocha, celui-ci parvient magnifiquement à restituer, avec une fierté pleine de pudeur, la palette colorée des "Caprices" de Goya qui ont inspiré le compositeur. Une musique qui devrait pouvoir, elle aussi, désarmer tous les belligérants du monde et permettre aux Juifs, Musulmans et Chrétiens de se retrouver. (© Roland Bosquet)

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