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Chroniques d'un vieux bougon
23 février 2012

Vieilles idées

     Plongée dans le passé en compagnie de Jean-Marie et de son épouse Colette. L’un a quitté ses recherches sur  la vie des paysans limousins entre l’assassinat du président Paul Doumer en mai 1932  et la victoire de Léon Blum et du Front Populaire en avril 1936. Il veut s’accorder quelques semaines de recul avant d’aborder la phase d’écriture. Colette, quant à elle, a enfin pu quitter sa Lozère et son causse  Méjean où la neige et le vilain temps la retenaient auprès de sa famille. Elle a bien évidemment rapporté de ses Cévennes quelques fricandeaux à consommer avec des lentilles et un bocal de gratillons dont elle promet de garnir une fouasse "à cuire dans la cuisinière à bois comme chez nous". J’enfourne pour moi dans le lecteur de ma chaîne la dernière galette de Leonard Cohen "Old Ideas", vieilles idées. Et devant un bol de chocolat chaud, nous retournons à ces étincelantes années de notre jeunesse encore aujourd’hui baignées de la voix âpre et rugueuse du chanteur canadien.         

        C’est ainsi que je raconte avec nostalgie une virée en auto-stop au cours de l’été 67 depuis mes bocages normands jusqu’au festival d’Avignon. Je crois me souvenir qu'on y jouait Médée de Sénèque et que je ne l’ai pas vue. Mais il y avait tant à voir, écouter, sentir ! En réalité, on allait surtout à Avignon pour en humer l’air si libre et si passionné à la fois ! Par contre, je me souviens très bien de la traversée du causse de Gramat ratatiné à l’arrière d’une Austin cabriolet rouge d’un couple d’Anglais assez "déjantés". Jean-Marie s’aperçoit alors que nous aurions presque pu nous rencontrer : il faisait alors le moniteur de colonie de vacances à l’abbaye Sainte-Foy de Conques. « L’un des moines venait de Normandie lui aussi mais  pour requinquer sa santé, comme il disait. Il grattait sa guitare avec assez d’habileté, ma foi. Il chantait des chansons du Père Cocagnac  d’une voix nasillarde un peu comique mais il y mettait tant de chaleur qu'on l’oubliait vite. Il détenait à la suite  de je ne sais quels tortueux détours  le disque 33 tours de Léonard Cohen. Quelle découverte ! La belle voix de baryton, les mélodies country-folks déjà entendues avec Joan Baez et Bob Dylan. Ma pratique de l’anglais, surtout canadien, n’était pas meilleure que celle d’aujourd’hui et j’étais donc bien incapable de comprendre tout le sens des paroles. Mais ce n’était pas vraiment un handicap. La musique nous suffisait pour en saisir la profondeur. Je pense d’ailleurs que le jeune moine n’en comprenait pas plus que moi sinon, il aurait été plutôt choqué par le mélange assez cru de sacré et de sexualité. Ce n’est que l’année suivante, à Saint Etienne où habitaient mes parents, que j’ai découvert "Suzanne" en français avec Graeme Allwright. Un vrai chant révolutionnaire.» Et tandis que chemine la mémoire, défilent les chansons d’aujourd’hui. "Amen" qui évoque si furieusement "Hey man", la ballade gospel "Show me the place", le poignant et dépouillé "Crazy to love you". Nous comprenons aussi mal les paroles qu'hier mais nous en saisissons cependant toute l’élégance nourrie d’humour noir et de résignation amusée. « Mais toi, dis-je à Colette, que faisais-tu à cette époque ? » Elle sourit doucement et deux petites fossettes creusent ses joues aussi lisses qu'à ses vingt ans. « J’avais été retoquée au concours d’entrée à l’École Normale d’Instituteurs  de Montpellier et comme je ne savais pas quoi faire d’autre, j’avais fait la première année de Droit à la Fac. Á l’époque, quand on ne savait pas quoi faire, on faisait Droit. Enfin, on s’inscrivait en fac de Droit. Après… C’est là que j’ai vraiment découvert la musique et la poésie espagnoles. Avec Paco Ibáñez qui chantait les poèmes de Federico Garcia Lorca et de Gabriel Celaya ou avec le Catalan  Joan Manuel Serrat. En fait, moi, j’étais plutôt orientée plein sud pendant que vous, vous rêviez d’Amérique. C’est ainsi que je suis devenue prof.  d’espagnol !»

         La nuit est tombée depuis longtemps lorsque Léonard Cohen reprend pour la troisième ou quatrième fois "Different sides" où un air de piano semble curieusement swinguer sur fond d’orgue électrique. "Suzanne t’emmène, écouter les sirènes. Elle te prend par la main pour passer une nuit sans fin" chantait Cohen dans son premier enregistrement. Sa voix grave qui râpe l’air nous raconte dans ce dernier opus que sa nuit, en effet, n’a toujours pas de fin. (© Roland Bosquet)

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