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Chroniques d'un vieux bougon
1 mars 2012

La reverdie

       Entendu hier soir les appels rauques d’un vol de grues annonçant en fanfare le retour de la reverdie. L’herbe brûlée par le gel de la pelouse de mon courtil n’offre encore qu’un aspect  grisâtre.  Mais l’éclairent ici ou là, les lumineux jaunes des crocus et les inflorescences violacées des bruyères d’hiver alignées au pied des haies. Les boutons de narcisses pointent au long du muret de pierre sèches. Les tourterelles s’appellent d’un arbre à l’autre. Dans les sapins, les ramiers roucoulent avec autant d’enthousiasme que ceux de la volière. Sur la terrasse, le ballet des moineaux et autres mésanges autour des boules de graines que je dépose à leur intention est de moins en moins fébrile comme s’ils trouvaient maintenant leur nourriture ailleurs. Depuis trois jours, j’ai de nouveau endossé ma panoplie de jardinier et taillé les groseilliers. Demain, je commence à élaguer les noisetiers qui se sont montrés trop exubérants les saisons passées. Mais ce matin, Thomas est parvenu à échapper à la sollicitude de Marthe et nous avons exploré un vieux sentier égaré au milieu d’un bois encore ignoré des hommes à la tronçonneuse.

     Au bout d’une heure de marche, nous atteignons le sommet d’une hauteur dégagée de ses châtaigniers. Perdue dans la brume, la courbe molle des collines dessine un horizon incertain nous donnant l’impression d’apercevoir au loin les frontières du monde. Je crois que, tout compte fait, je vais rester, lâche soudain Thomas d’une voix hésitante ! Mais un bruissement de feuilles mortes attire notre attention à quelques pas de là. Un hérisson s’extirpe lentement d’un roncier, lève le nez et hume l’air traversé d’odeurs d’humus et de terre mouillée. Contrairement à lui, Thomas aurait-il donc trouvé chez Marthe un gîte et un couvert à sa convenance ? Je sais bien, ajoute-t-il avec un haussement d’épaules, qu’elle n’est pas du genre à fermer sa porte. Mais j’espère qu’elle va tout de même accepter. Il sait pertinemment que c’est avec gratitude que Marthe l’accueille au Mas du Goth. Cherche-t-il encore une échappatoire ? Une excuse pour partir ? Tu voudrais quitter tout cela, lui dis-je ? Toute cette vie qui fourmille au fond de ces combes ? Mais il ne répond que par le silence. Alors j’imagine pour lui les portes ouvertes sur les cours ensoleillées, les fenêtres par où s’engouffrent des parfums de printemps à venir, les draps étendus sur des fils à linge accrochés à leurs piquets branlants, les poules qui grattent les graviers des courtils et celles, nichées sur une poignée de paille, qui couvent précieusement leurs gros œufs jaunes, les deux ou trois oies rescapées des ripailles de fin d’année qui fouillent les abords de la mare, le tracteur qui porte à bout de bras sa botte de fourrage et pousse devant lui son petit troupeau de génisses, le border-colley qui court en tous sens et aboie derrière chaque brebis qui s’écarte du chemin, l’âne au long poil gris qui se frotte contre la clôture de l’enclos de sa voisine, le couple d’ageasses qui tricotent leur nid dans les hautes branches du bouleau, le concert des crapauds en rut au bord de l’étang dont on aperçoit la surface argentée entre les branches nues des charmilles, la carpe qui en perce de temps à autre le miroir immobile et y griffonne de longs cercles concentriques qui vont mourir contre les ajoncs des berges, le milan qui ponctue d’un point noir le trait blanc abandonné par les avions dans le bleu glacé du ciel, et les haies dont bientôt les bourgeons vont s’ouvrir et les aubépines éclairer les coins d’ombre, les chatons des coudriers qui dispersent leur pollen au vent et les allergiques qui toussent, les violettes qui tapissent les sous-bois, les fauvettes arrivées dans la nuit de leur long voyage de transhumance et qui tressent fébrilement un nid de brins de laine de mouton et de duvet de lapin sauvage, les merles qui disputent aux geais la propriété des buissons de forsythias, les choucas qui se chamaillent avec les buses en quête de territoire, les moucherons qui dansent dans les flaques de lumière, le filet d’eau qui saute entre les pierres et les crosses des fougères qui vont pointer, bientôt, sous les feuilles mortes.

      Point n‘est besoin de courir les chemins pour trouver un peu de bonheur ! Il suffit d’aimer un peu les gens de ce vieux pays, de les remercier d’un regard, d’un sourire, d’une main tendue, d’un menu service qu'ils n’oseraient pas même attendre et encore moins demander. Il suffit de marcher à leur pas et au pas de leur vie simple. (© Roland Bosquet)

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