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Chroniques d'un vieux bougon
13 mars 2012

Premières dédicaces pour Mathilde

      Disposé en trois piles égales, mon étal se compose de mes deux précédents romans, "La Maison bleue" et "Le Chartil" et du dernier qui vient tout juste de sortir encore tout chaud des presses de l’imprimerie, "Le Secret de Mathilde". Bien situé juste devant la porte d’entrée, je ne peux manquer un seul client. Aucun client ne peut manquer de me voir non plus d’ailleurs même si j’ai l’impression que c’est ce qui se produit la plupart du temps. Ce qui me laisse tout loisir pour "considérer la conjoncture".

      La porte d’entrée sépare la librairie en deux parties. Á main droite, pendent les cartes postales et les cartes routières sur leurs tourniquets. On accède, en les contournant, aux petits matériels pour écoliers tels que gommes, cahiers et règles de toutes tailles rangés dans leurs casiers. Suivent les premiers livres pour l’apprentissage de la lecture puis ceux exigés par les professeurs et les programmes depuis les classes de sixième jusqu’à celles de terminale. Les plus notoires sont bien sûr Rabelais, La Fontaine, Voltaire, Lamartine, l’inévitable Victor Hugo, Romain Rolland, André Malraux et Jean-Paul Sartre. Ils sont d’ailleurs si soigneusement alignés sur les rayonnages auxquels je tourne le dos, que tout espoir de fuite m’est interdit. D’autant plus qu’à main gauche s’ouvre l’espace attribué à la "littérature contemporaine". En attendant l’arrivée du libraire parti, selon elle, procéder à des emplettes sur le marché_ il consommerait exclusivement bio !_ la jeune vendeuse a tenté de m’expliquer la méthode de rangement. La technique en est très sophistiquée et montre combien le métier de libraire ne peut en aucun cas se contenter d’amateurisme. Une petite table recouverte d’une nappe aux couleurs de plaid écossais sépare les deux parties de l’établissement. Elle est réservée à la "littérature régionale". Bien que je ne sois pas certain que ma production mérite vraiment le qualificatif un peu pompeux de "littéraire", c’est là que, selon la jeune vendeuse, sont, entre autres, entassés mes livres lorsque je n’en viens pas faire la dédicace. S’y ajoutent les livres-cadeau illustrés de photographies de paysages, gnous en migration, éléphants au bain et autres animaux de la savane africaine. Passé ce cap, sont les ouvrages-dont-on-parle disposés à plat sur la table centrale afin que la couverture soit bien en vue. Ainsi le lecteur potentiel qui l’aurait par inadvertance aperçue à la télévision ou dans une publicité peut la repérer dès le premier coup d’œil, s’en saisir sans coup férir et passer à la caisse. Pour rejoindre celle-ci, on ne peut d’ailleurs éviter cet étalage et obligatoirement patienter devant si le préposé à l’encaissement se montre un peu lent avec l’acheteur précédent. De longues étagères montant jusqu’au plafond et garnies de livres offrant modestement leur tranche aux regards entourent cet espace. Le troisième côté s’ouvre sur la vitrine masquée par les présentoirs des diffuseurs les plus actifs de nourritures plus ou moins intellectuelles. La rue est ainsi peu visible. Comme si l’antre de la lecture, recroquevillée sur son quant-à-soi, devait se couper du monde pour survivre. Á moins que ce ne soit dans le but de mieux concentrer le lecteur sur son achat. Quoi qu’il en soit, depuis mon poste de vigie, je distingue parfaitement l’intense activité extérieure. La librairie donne en effet sur l’une des rues les plus commerçantes du bourg. Sur le trottoir d’en face, s’étire de temps à autre, à hauteur de la porte de la boulangerie, une longue file d’attente. Il n’y a pas de file d’attente devant celle de la librairie. J’imagine malgré tout des dialogues qui pourraient être réjouissants : bonjour, je voudrais une baguette Goncourt,  je voudrais un pain de campagne Raboliot, ou une gâche Michel Onfray, une miche Christine Angot, une tranche de "Limonov", un gros pain Pennac ! J’ai le temps de rêver.

       Mais voici qu’une silhouette familière se découpe derrière les affichettes des associations collées contre la vitre. Le sourire jovial et la gaieté dans les yeux, l’adjoint au maire pour les affaires sociales se projette en trois pas devant moi. « Comment vas-tu ? Oui, j’ai vu l’annonce en passant. Ça parle de quoi, cette fois ? Ah le haut Moyen-âge ! C’est intéressant. Je vais te le prendre bien que je n’aie pas beaucoup de temps en ce moment pour lire. Les travaux de la médi@thèque avancent. Il faudra voir ! Ah bonjour madame Dupont. Comment ça va ? Et la maman ?... » (©Roland Bosquet)

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