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Chroniques d'un vieux bougon
19 avril 2012

Chat-donné

       Depuis quelques jours, en ouvrant les volets de la fenêtre donnant sur la terrasse, j’aperçois sa silhouette noire au pied des sapins. Si, par pure maladresse de ma part, le volet cogne trop brusquement contre le mur, brisant alors la paix de mon courtil, il s’esquive sous les branches basses, aussi furtif qu’un écureuil descendu de son fayard. L’air d’avril est encore frais mais les après-midis ensoleillés invitent à sortir les boutures de géraniums demeurées jusqu’ici à l’abri sous l’appentis dont je laisse la porte ouverte. Hier soir, alors que je rentre mes petites plantations pour la nuit, je le découvre étalé de tout son long sur la table avancée devant la fenêtre. Il m’observe d’abord d’une prunelle acerbe et chargée de reproches puis il s’élance vers la sortie et disparaît d’un bond. Non sans renverser une potée de jeunes pousses de pommiers d’amour destinées à Marthe Dumas du Mas du Goth. Je grogne et rouspète dans ma barbe. Mais le mal est fait. Il ne me reste plus qu’à ramasser le terreau et à repiquer le plus délicatement possible les fines et fragiles plantules. Ce matin, alors que je suis, comme chaque matin, agrippé au clavier de mon ordinateur, il apparaît tout à coup sur le rebord de la fenêtre de mon bureau. Il semble chercher à voir ce qui se déroule de l’autre côté de la vitre.    Mais comme il ne s’y passe rien, il s’assied tranquillement au soleil et se lance dans une toilette  approfondie de sa toison.

        Abandonnant là mon texte et laissant ma phrase en suspend au-dessus du vide sidéral de mon imagination, je l’observe à mon tour. Épaules puissantes, gestes amples et souples et échine indolente, il paraît l’exemple même du raminagrobis dans toute sa splendeur. Et son  pelage aussi noir qu’un secret-défense ajoute encore à son ombrageuse majesté. Seule une petite tache blanche de la taille d’une pièce de cent sous éclaire son menton comme une signature de métissage. Çà et là,  quelques brindilles sèches, traces de rosée ou éclats de feuilles mortes émaillent son poil ébouriffé. Mais en cette période de l’année, les matous ont coutume de courir la gueuse au long de vastes territoires. Ils ne réintègrent généralement leur domicile qu’au petit matin, le poil broussailleux et l’humeur blafarde. Le magnifique spécimen qui s’étire paresseusement sous mes yeux revient manifestement de semblable randonnée sauvage sous l’œil glauque de la lune. D’où sors-tu donc fripon ? Perdu dans mes réflexions, j’ai dû parler un peu fort. L’animal relève la tête et lâche un sonore miaou sorti du fond de la gorge qui affole les mésanges charbonnières des alentours. C’est alors trop d’agitation pour cet adepte de la sieste. Il se relève avec dignité, me jette un regard peu amène, saute avec grâce sur le sol et s’éloigne la queue dressée en point d’interrogation.

          Incapable désormais de me replonger dans l’histoire abracadabrantesque que je tente en vain de mener à son terme, je décide de me préparer ma potion magique habituelle composée de malabar moussonné et de kwilu du Congo. Lorsque j’arrive dans la cuisine, mon œil est attiré par une ombre assise devant la porte d’entrée. Il me regarde fixement sans le moindre mouvement de recul. J’ouvre. Il entre sans hâte excessive, se frotte contre ma jambe pour me signifier mon appartenance à son royaume et bondit sur la chaise la plus proche. Vexé d’être ainsi relégué au rang de simple sujet de son altesse féline et afin de lui rappeler mes prérogatives de maître de maison, je décide de l’appeler Chat-donné. Mais je ne me fais guère d’illusions. C’est lui, bien sûr, qui deviendra le vrai Roy en mon royaume. Comme toujours avec les chats ! (© Roland Bosquet)

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