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Chroniques d'un vieux bougon
21 mai 2012

lune noire

        Le jardinage remonte à la plus haute antiquité. Ainsi, persuadé que l’opiniâtreté peut parfois conduire aux plus hauts sommets de l’Olympe sinon à l’Élysée lui-même, _les exemples ne manquent pas_ Ascalaphos sarclait-il consciencieusement les allées du pouvoir afin que les dieux ne salissent pas leurs augustes pieds lors de leurs excursions divines. Las ! Un "circonstanciel" malheureux s’en vint troubler son irrésistible ascension. Alors qu’entre deux RTT il se reposait sous un grenadier, il aperçut Perséphone grignotant avec gourmandise  le fruit de son arbre préféré. La gourmandise étant un vilain défaut, il témoigna de l’écart à son supérieur hiérarchique. Adieu perchoirs, adieu honneurs ! La fautive se vit condamnée, telle une gamine prise en flagrant délit de doigt dans le pot de confiture, à demeurer pour l’éternité dans les ténébreux replis du royaume. Le vilain rapporteur fut sévèrement puni à son tour, ce qui est bien normal après tout, et transformé en chouette. Les jardiniers lui doivent aujourd’hui d’être astreints à arracher sans cesse les mauvaises herbes à sa place. Mais contrairement à Sisyphe qui pousse sans relâche son rocher comme un vulgaire bousier sa pelote, le jardinier a droit à un jour de repos lorsque la belle Séléné se réfugie pudiquement derrière la Terre pour changer de quartier. J’ai donc décidé, ce matin, de suivre les conseils de mon livre de chevet du jardinier : ne rien faire en lune noire. Car il ne faut pas s’y tromper. Jardiner bénévolement équivaut à un travail à temps plein. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi cette fonction est souvent attribuée aux retraités lorsqu’ils ne sont pas affectés à la garde de leurs petits-enfants ou aux voyages en car sur des routes sinueuses dans le cadre de la relance du tourisme régional. Regarder paisiblement s’épanouir ses semis assis sur un pliant comme un humble pécheur à la ligne représente aujourd’hui pour le jardinier un repos bien mérité. D’autant plus que les professionnels du calendrier lunaire lui imposent à chaque jour une besogne spécifique. Hier, semer des choux verts, demain, des radis roses ou des haricots secs et après-demain des petits pois ronds. Sans oublier les pieds de tomates qui échapperont peut-être à la lune rousse des saints de glace, les pieds de fenouil commun pour donner enfin du goût aux courgettes, la tétragone pour confectionner des gratins à la crème d’épeautre et les poireaux pour l’hiver qui sera rude, disent les oignons, en dépit du réchauffement climatique cher aux Moustaches Vertes. Ainsi, les journées se suivent et les travaux potagers, à l’image de ceux d’Hercule, s’enchaînent inexorablement sans autre issue pour le jardinier que l’obligation de recommencer encore et encore. Accompagner dame nature dans sa tâche nourricière n’est pas une sinécure. Ce serait même plutôt un véritable sacerdoce dont on ne mesure pas assez l’abnégation. Mais lorsqu’en toute innocence vous empoignez pour la première fois votre sarclette, vous l’ignorez encore. Demain, pensez-vous, _car un jardinier pense aussi, _ demain est un autre jour et le soleil se lèvera bien ! Et le lendemain, il est déjà trop tard. Vous avez mis le râteau dans l’engrenage et la bêche sous le pied. Le bonheur est pastoral, dites-vous ? Certes, mais dans un confortable fauteuil en rotin avec le second tome du roman à deux lunes d’Haruki Murakami, "1Q84", et Gwénael Kerléo à la harpe celtique. Mais décidément, l’herbe pousse vraiment trop vite en mai et je vais devoir de nouveau tondre la pelouse de mon courtil. Mais demain, c’est sûr,… Car c’est ainsi que s'établit la normalitude. Cahin-caha et à petits pas. (© Roland Bosquet)

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