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Chroniques d'un vieux bougon
31 mai 2012

La terre, la pierre et l'eau

      Depuis la plus haute antiquité, l’homme vit de la terre et par la terre. Il en cueillit  d’abord les fruits. Lorsque survinrent les disettes, il inventa l’agriculture, le bœuf limousin et les subventions européennes. Il en utilisa aussi la pierre pour y dessiner des aurochs sur les parois de ses grottes insalubres. Lorsque survint la crise du logement, il inventa les carrières pour y tailler des moellons et bâtir des HLM. De la carrière à la mine, il n’y avait qu’un pas que des milliers d’esclaves franchirent comme on passe le Styx. Depuis, de l’or noir aux métaux rares, c’est à pleines mains que l’homme puise au cœur de la terre. Mais les cassandres à Moustaches Vertes, lorsqu’elles ne se préoccupent pas d’abord de s’assoir dans leurs fauteuils de ministres ou de conquérir des sièges à l’Assemblée, nous prédisent un proche épuisement de ces ressources naturelles. Alors s’annoncera une ère nouvelle. L’homme avait érigé les pyramides, les cathédrales gothiques et la place du Trocadéro. Il était même parvenu à faire passer les fleuves au cœur de ses grandes villes. Demain, il établira ses cités de plus en plus vastes et de plus en plus peuplées sur les rives de plus en plus étroites des océans. Il aura alors besoin de beaucoup d’eau pour en mettre dans son vin lors des grandes révoltes ouvrières de printemps et se laver les mains ensuite des conséquences néfastes de ses gaspillages. Demain, l’homme vivra par l’eau. Et l’eau deviendra une richesse de plus en plus recherchée.

     Alors, comme on traverse l’Achéron, des milliers d’esclaves émigreront de leurs déserts alentours  pour venir en nos campagnes creuser des puits sans fond dans l’espoir d’atteindre les sources de l’eau.  Puis ils construiront des aqueducs larges comme un aéroport international au coeur de la campagne nantaise pour la transporter jusqu’aux cités tentaculaires de bord de mer. Les derniers bougons vivant encore au fond de leurs vallées perdues pleureront leurs paysages définitivement défigurés. On leur rétorquera qu’ils l’étaient déjà depuis des lustres par les ruines des châteaux forts et les éoliennes à électricité plantés au sommet des collines. On sera ensuite contraint de créer la confrérie des Grands Éboueurs de Marseille qui sera chargée, en dehors des jours de grève, d’extraire de ces autoroutes de l’eau les voitures à essence et les locomotives diésel abandonnées là faute de carburant, les boites d’aluminium pour boissons allégées qui faisaient grossir et les chaussures de plage en plastique devenues inutiles. Les nouveaux crânes d’œuf diplômés de Hautes Écoles de Formation en esprit d’escalier en viendront même à concevoir de grandes usines pour purifier les boues nauséabondes déversées par les innombrables égouts des innombrables villes des innombrables hommes. Et l’homme oubliera la terre d’où il vient.

     Un jour pourtant, un berger parti à la recherche d’un agneau égaré découvrira des livres de papier entreposés dans des amphores dissimulées au fond de grottes désertiques. Opiniâtres comme de vieux paysans lémovices, des archéologues les reconstitueront et les traduiront en langage binaire. En ces temps anciens, liront-ils, vivaient  dans des forêts profondes des sangliers sauvages, des pies ageasses et des ramiers roucouleurs et dans des courtils verdoyants perdus au cœur des Monts poussaient en mai des fraisiers sauvages, des bolets à l’automne et des prunelles goûtues aux premières gelées. On créera alors un Centre de Mémoire que l’on fera visiter aux enfants des écoles. Et un jour, un enfant plus curieux que les autres apercevra, se balançant mollement au gré de la brise, la robe rouge d’un coquelicot. Il s’en approchera à pas de loup afin de ne pas l’effrayer, le cueillera avec délicatesse et l’offrira innocemment à sa mère, écologiste repentie, qui pleurera d’émotion.  Et c’est ainsi que l’on saura qu’entre regrets des temps jadis et espérances désabusées, la normalitude se sera malgré tout perpétuée. (© Roland Bosquet)

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