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Chroniques d'un vieux bougon
4 juin 2012

Flamberge au vent

       Á peine l’aurore a-t-elle achevé de déchirer la nuit que j’accoste mon chartil au pied de l’église du village. Du haut de leurs contreforts, les gargouilles guettent d’un œil goguenard le passant étourdi, prêtes à débagouler sur son échine leurs coulures d’averses. Trois ou quatre choucas, assignés sans doute à la surveillance de l’édifice, patrouillent en silence autour du clocher.  Sur le parvis, un groupe de moineaux se disputent des graines invisibles. Par la porte entr’ouverte sourd un étrange soliloque ânonné à voix grave. Curieux, je glisse un pas discret jusqu’au bénitier. Devant l’autel, le prêtre officie. Trois ombres recroquevillées sur un banc l’accompagnent. Au-dessus d’elles, des rais de lumières bariolés s’accrochent à une statue rongée par le temps. Tout bousculé de vieux souvenirs enfouis, je m’en retourne, confus,  vers la vie d’aujourd’hui. Elle s’éveille tout doux aux abords de la place. Un coulis de brise pousse dans un recoin une poignée de feuilles de laurier brûlées par les dernières gelées. Un greffier en robe noire saute majestueusement sur le muret de pierre d’un parterre de géraniums et s’absorbe dans une toilette minutieuse. Un chien aboie dans une cour en contrebas. Sur la route conduisant à la ville, la cabine rouge d’un tracteur s’éloigne en ronronnant. La camionnette communale, dûment estampillée aux armes des ancêtres gaulois de la contrée, s’arrête devant la porte de la mairie. Le conducteur s’en extrait avec force contorsions et se dirige en boitant vers l’épicerie-bibliothèque voisine. J’aspire une longue goulée d’air et m’élance à mon tour, flamberge au vent. J’y dois en effet proposer mes brassées de fables aux chalands des environs. Accueil chaleureux, comme de coutume, avec rires dans les yeux et franche poignée de main. Á droite, s’étalent les cageots de poireaux, choux raves et laitues romaines aux lourdes senteurs de terre. Á côté, minaudent avec des manières d’élégantes les panières de fraises, radis roses et tomates-cerises importées de Xaintrie. Face à la porte, trône le comptoir en bois sculpté digne d’un étal d’apothicaire du début du siècle dernier avec sa caisse enregistreuse électronique, son téléphone en bakélite pour la décoration et la mère de la patronne pour "tenir la caisse". Á gauche, des rayonnages d’épaisses planches de chêne hébergent des contingents d’ouvrages sagement alignés comme soldats à la parade. Au centre de ce carré réservé aux nourritures intellectuelles, m’attend une petite table recouverte d’un plaid écossais. Deux piles d’exemplaires de mes précédents romans tentent de s’y faire une place à côté de celle, imposante, du dernier, "Le Secret de Mathilde". Finissez d’entrer, invite mon hôtesse. Se présente à ce moment une vieille dame aux cheveux gris armée de son cabas. Bonjour madame Dupuis ! Hochement de tête de la vieille dame qui trottine à pas de chat noir en direction du coin épicerie-primeurs. La maman profite de la diversion pour me rejoindre tandis que je prends place. Voulez-vous du café ? C’est moi qui le fais. Á l’ancienne ! Comment résister à sa sollicitude ? Elle disparaît derrière un panonceau suspendu au plafond et désignant le coin privé. Mais une main décidée pousse à son tour la porte, un bonjour flamboyant sur les lèvres. Il est là ? Il est là ! Il sort son Pilot et revêt ses hardes de vendeur à la commission. Mais point n’en sera besoin. On vient ici pour "faire son marché", bien sûr, mais aussi pour causer du temps et des voisins, pour échanger des livres et des idées, pour partager des impressions. Et la matinée s’écoulera sans laisser même le temps à "l’écrivain" de boire son café. Ses histoires côtoieront sans rechigner les courgettes, poivrons et autres salades croquantes et ses héros, un peu étourdis, voyageront d’un coin à l’autre du magasin, entre confidences confidentielles, doléances à l’encontre de la pesanteur des  ans et savoureuses fragrances de terroirs. Bon, jettera soudain une mamie dans l’espoir de rameuter ses deux petits-enfants plongés dans une bande dessinée. C’est pas l’tout ! Mais les hommes vont rentrer et la soupe n’est pas prête ! Empressements soudains parmi l’assistance. Cris outragés des garnements qui refuseront d’abandonner en chemin une "bédé trop bien". Gardez-la ! Vous la rapporterez samedi prochain, voilà tout ! Ainsi se vit la normalitude à la campagne. En convivialité. (© Roland Bosquet)

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