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Chroniques d'un vieux bougon
6 septembre 2012

Jean-qui-rit ou Jean-qui-pleure

     Hector et Paris, les deux hiboux qui ont élu domicile dans les combles de ma maison, signalent leur retour d’un pas lourd et sonore. Comme s’ils prévoyaient un hiver précoce. J’ai glissé à leur intention dans le lecteur de disque la sonate pour piano n°3 en si mineur  de Frédéric Chopin interprétée par Guillaume Masson et le calme est revenu. Voilà cependant qui n’augure rien de bon pour les mois à venir. Les climatologues nous prédisent certes un réchauffement significatif de l’atmosphère. Mais mes voisins hiboux semblent les contredirent et les oignons de mon jardin potager partageraient le même avis. J’ai en effet constaté, lors de leur récolte en début juillet, que leurs deux dernières peaux sont particulièrement épaisses. Comme s’ils se couvraient déjà pour résister à des froids soutenus ! Les économistes conjecturent d’ailleurs un net refroidissement économique par le fait d’une croissance négative sévissant partout en Europe. Les syndicats, par contre, annoncent un automne chaud et animé. Le tournis vous prend à vouloir suivre les avis des uns et des autres. Qui croire ? Qui ignorer ? Dois-je sortir ma pelisse de sa naphtaline ou mon vieux duffle-coat suffira-t-il ? Dois-je contacter mon bûcheron préféré pour qu’il me livre quelques cordes supplémentaires de frêne pour alimenter ma cheminée ou mes coupes de noisetier feront-elles l’affaire ?  Mais c’est peu de dire que les semaines passées furent aussi confuses que celles qui nous attendent. Hélène et Sébastien, mes voisins agriculteurs, ont réuni, hier, celles et ceux qui ont participé aux distractions de leurs vacanciers. Sébastien a déposé dans la grange une longue planche sur ses tréteaux.  Bardée de ses bancs taillés à la hache dans  un tronc de fayard, elle rappelle aux jeunes générations la rudesse du mobilier des fermes d’autrefois. Un vieux drap, brodé aux armes de l’aïeule d’Hélène, remplit encore aujourd’hui fort convenablement son office de nappe. En compagnie de sa fille Sarah, cette dernière s’applique d’ailleurs dans sa cuisine à nous offrir un menu totalement différent des plats traditionnels de la région qu’elle a servis sans discontinuer à ses locataires de gite et chambre d’hôte. Il faut bien faire couleur locale ! Ma fonction de Papet assurant aux enfants la visite aux chèvres naines et la promenade à dos d’âne me garantit une entrée privilégiée à condition que j’assure l’approvisionnement en vin frais et gouleyant. Ce que je fais bien volontiers avec un Meursault blanc de la maison  Gauffroy. Marthe Dumas, du Mas du Goth, entre à son tour au bras de Thomas au titre de complice de son "homme de main", ainsi qu’elle le présente. Il a grandement aidé à la récolte des foins, au plumage des volailles fermières plébiscitées par les pensionnaires et à la distraction des enfants lorsque les parents, en état de manque sans doute d’agitation et de gaz carbonique, allaient à la ville. Hélène pose sur la table une belle carpe fraîchement péchée dans la Bornoise par un sien cousin du côté de sa mère et fleurant bon le serpolet lorsque Mathieu et Juliette ainsi que leur Poupette, qui  distribue généreusement ses sourires, arrivent, confus et timides. Dans l’espoir de se faire pardonner un retard que nul ne leur reproche, ils offrent gauchement à notre hôtesse une fine céramique décorée d’une scène  bucolique d’un vibrant bleu de Delphes. Ils nous invitent tous ensuite à admirer les travaux en cours dans leur maison voisine de la mienne. Nos amis bretons, Nigel et Gwenola, qui, l’an passé, nous ont conté les hauts faits des korrigans, entrent les derniers, armés de chouchen et rythmant de leurs galoches de bois quelque pas de danse typique des rudes paysans de leur forêt de Brocéliande. Á cause de la sécheresse de mars et avril, affirme Sébastien tandis que nous humons un Tariquet premières grives en guise d’apéritif, l’herbe à rechigné à pousser. Les pluies de mai et juin ont retardé les fenaisons. Celles de juillet les ont gâchées. Que vais-je donner à mes bêtes, cet hiver ? Á cause de l’humeur incertaine de l’économie, poursuit Hélène, les vacanciers ont renoncé à partir au loin. Je n’ai pas eu assez de mes deux gîtes et de mes trois chambres d’hôtes pour les accueillir tous. Ceux qui sont restés ont épuisé mes réserves de volailles, porc et jardin potager. La saison a été chargée mais de profit. Alors, conclut Marthe avec son bon sens aiguisé par la pratique des années, laquelle de vos deux appréciations devons-nous suivre ? Jean-qui-rit ou Jean-qui-pleure ? Voilà qui présage de longues discussions pour les veillées à venir. Et c’est par là que l’on voit que la normalitude demeure de saison. (©Roland Bosquet)

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