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Chroniques d'un vieux bougon
4 octobre 2012

La gourmandise

      Pour sa première réunion de la saison, le cercle des vieux gamins du Céladon, le restaurant de la Grande Médi@thèque de la Ville, retrouve sa table habituelle. Loin de l’agitation estudiantine du bar et des frimas de la porte d’entrée et près de l’épaisse vitre qui l’isole des clameurs de la rue mais l’inonde de la lumineuse tiédeur du soleil. Tous ont répondu à l’appel. Jacques, dit le Hibou à cause de ses petites lunettes rondes qui lui donnent un plaisant air ahuri et son épouse Sophie, qui expose ses vouivres un peu partout en Europe. Daniel, ancien professeur de latin perpétuellement à la recherche du document introuvable en bas-latin du septième siècle. Jean-Marie, ancien professeur d’histoire-géographie, qui prépare un essai sur la vie des ouvriers-paysans limousins entre l’assassinat du président Paul Doumer et l’avènement de Léon Blum, et son épouse Colette, originaire des Causses et ancienne professeur d’Espagnol. Jean-Paul, dit aussi Porthos à cause de son tour de taille pantagruélique, professeur émérite de grec ancien et fouilleur invétéré de vieilles pierres sous le soleil du Péloponnèse. Et le vieux bougon de la campagne, "exfiltré" pour l’occasion de son courtil perdu au cœur des Monts. « Je vais passer pour un vieux con », s’exclame le Hibou entre poire et fromage. Protestations unanimes. Il parle en fait du dernier Delerm. Plus précoce encore que le Beaujolais nouveau, (à moins ce ne soit dans le but d’en préparer la prochaine livraison), Philippe Delerm a en effet encore frappé. Délaissant cette fois les états d’âme du retraité condamné à regarder les passants passer sur le trottoir ensoleillé, Philippe Delerm épluche aujourd’hui, avec humour et causticité, quelques unes de ces petites phrases toutes faites que nous employons sans même y penser lorsqu’il s’agit de meubler un silence, de donner l’impression de participer à la conversation, de la ponctuer d’une banalité bien sentie ou de la conclure sans engagement. Avec l’élégance d’un peintre de miniature, il pose le doigt sur ces petits travers de langage comme il sait si bien faire avec les plaisirs minuscules. Rien d’exhaustif, cependant. Seulement quelques exemples bien choisis parmi la multitude des précautions oratoires qui fluidifient le lien social, aident à supporter les contrariétés ou rassurent l’amour-propre de la maîtresse de maison sur la qualité de sa blanquette de veau "amoureusement mitonnée" et de sa charlotte aux fraises. Des exemples sélectionnés dans l’entre-soi de gens bien-élevés où la culture, ou son apparence, tient lieu de pensée profonde. Jamais un mot de travers ou plus haut que l’autre. (Sauf, peut-être à l’adresse du supporter du PSG planté en haut de la tribune de Roland-Garros). Mais on ne pourra plus désormais préférer Le Havre à Rouen sans arrière pensée. (Quant à élire Bourges contre Limoges, il n’en écrit rien !) D’autres se sont plongés avant lui, mais avec moins de bonheur, sur l’apparente banalité de nos propos. Après Julien Lepers qui se prend pour un  académicien avec nos "Fautes de Français", voici que l’on annonce la publication des pastilles télévisées de Frédérick Gersal, "Façon de Parler" où il décortique les mille et une expressions du parler courant. Engluée dans la normalitude ambiante et obnubilée par la santé psychologique de son nombril, notre époque n’est-elle plus en état de créer de vraies grandes œuvres dignes de Marc Levy et Catherine Pancol réunis ? Demeurent, heureusement les poètes. Il convient à cet égard de savourer le dernier opus d’André Duprat, "Le Sophora terrassé", édité par Jacques Brémond et illustré par Sonia Achimsky. Pour se réconcilier avec la littérature. (© Roland Bosquet)

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