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Chroniques d'un vieux bougon
29 novembre 2012

L'herbe des nuits, Patrick Modiano

     Le ciel ce matin est peuplé  de gros nuages gris boursoufflés comme des angelots saint-sulpiciens. Le fond de l’air est frais et la pluie menaçante . Les fougères immobiles inscrivent un trait luisant de rosée au pied des sapins. Les feuilles des bouleaux tapissent la pelouse de fugaces reflets dorés. Les merles  et les corbeaux se blotissent au creux des branches. Le temps refuse de marquer  une pause dans sa course vers l’hiver. Autant se plonger dans un roman de Patrick Modiano ! Sauf que rien n’est plus exotique à un vieux bougon de la campagne qu’un roman de Patrick Modiano. On se plaint des chemins creux qui serpentent entre les clos, s’égarent dans les taillis et  se perdent inexorablement dans des landes couvertes de genêts. Les romans de Patrick Modiano entraînent le lecteur dans un semblable lacis de rues, d’impasses et de boulevards, à peine ponctués, çà et là, d’un bistrot avec terrasse, d’une bouche de métro aveugle ou d’un hôtel borgne sis dans l’ombre d’une gare d’où l’on ne part jamais.  Dans le sentier foulé par des générations de bœufs tirant leur chartil, vous rencontrerez peut-être un renard, un chevreuil, une compagnie de perdrix ou un faisan. Dans l’ombre à peine traversée de la lueur glauque des réverbères, vous ne croiserez jamais qu’un vieux jeune homme engoncé dans son duffle-coat, l’œil triste de l’éternel étudiant qui a renoncé à acquérir jamais la connaissance et fuyant les vitrines trop éclairées des boutiques de prêt-à-porter. Vous n’en serez pas étonné. Ce héros récurrent parcourt inlassablement les pages de chacun des romans de Patrick Modiano. Comme si celui-ci estimait ne parvenir jamais à en croquer les contours mais espérait encore atteindre son but par un nouvel opus. Le dessein semble le même pour les personnages qui gravitent autour de lui. Le pigeon qui survole votre courtil avant de se réfugier dans l’ombre des sapins se travestit pas en geai, en choucas ni même en tourterelle. Chez Patrick Modiano, nul ne sait trop quelles sont ces ombres qui vont et viennent d’un bistrot à un autre, d’un grand magasin à un théâtre vide, d’une chambre d’étudiant à un appartement cossu du quinzième arrondissement. Leur existence serait attestée par un fumeux rapport de police et quelques notes griffonnées sur un mystérieux carnet noir. Elle n’en reste pas moins confuse et incertaine.  En fait, piquetés, çà et là, de réminiscences empreintes de mélancolie, leur présent et leur passé se confondent à l’image de ces silhouettes anonymes qui surgissent soudain d’une bouche de métro,  s’attardent à la terrasse d’un café ou rêvent sur un banc de square à l’heure où s’allument les réverbères.  Un roman de Patrick Modiano est un labyrinthe où le lecteur navigue sans boussole dans un ciel sans étoiles. Avec, au cœur, la lancinante impression d’avoir oublié d’éteindre la lumière dans une vie antérieure. Mais confortablement installé dans son fauteuil avancé devant la cheminée, un petit verre de cointreau à la main pour la nostalgie, le vieux bougon n’en poursuit pas moins la lecture avec plaisir. En espérant que la prochaine fois peut-être, il touchera enfin au bonheur de retrouver son chemin. (© Roland Bosquet)

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Commentaires
L
Belle analyse, juste et poétique. "L'herbe des nuits" nous plonge à nouveau dans ce monde trouble du passé, et qui semble parfois se dérouler parallèlement à notre monde.<br /> <br /> A chaque livre de Modiano, on a cette sensation de "naviguer sans boussole dans un ciel sans étoiles", mais on y prend un tel plaisir !
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