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Chroniques d'un vieux bougon
3 janvier 2013

Trois quarts d'heure après la fin du monde

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      Soit nous avons pu nous glisser subrepticement dans quelque faille ignorée de l’espace-temps. Soit les sombres calculs des apprentis devins recelaient des lacunes. Soit, le plus probable, tout ce tohu-bohu ne tenait que du vent. Quoi qu’il en soit, le soleil a bien célébré le solstice à l’heure prévue par les annales, dans les crèches des églises, l’enfant Jésus est bien redescendu entre le bœuf et l’âne et le père Noël lui-même a déposé les cadeaux au pied des sapins. Comme chaque année, nous avons  surmonté les indigestions d’huîtres, de foie gras, de marrons glacés et de chocolat suisse. Nous nous remettons lentement de la terrible "gastro" qui s’abat inévitablement sur les sociétés repues à l’hygiène douteuse. Et comme chaque année, nous avons même pris de courageuses résolutions  que nous ne tiendrons pas.  En un mot comme en cent, notre existence poursuit son parcours ordinaire. Ainsi la lune achève-t-elle sa première phase décroissante de l’année et disparaîtra bientôt de notre ciel. Mais elle n'en demeure pas moins en cycle ascendant. Elle devrait, dans quelques jours, lacer son premier nœud dans l’ombre du firmament. Si vous n’avez pas de fraises à récolter dans votre jardin potager, y abstenez-vous alors de tout labeur, gardez en remise vos binettes, râteaux et autres arrosoirs et installez-vous paisiblement dans votre fauteuil devant la cheminée. Un bon livre fera l’affaire. À l’occasion des rituels vœux sous le gui de l'an neuf, vos amis ont probablement tenté d’enrichir votre bibliothèque. Les plus éloignés auront suivi les conseils des "toutologues" de la télévision. Peut-être même l’un d’eux, à cours d’imagination, vous aura-t-il soigneusement emmailloté le dernier Goncourt dans un féérique papier argenté  ! Les plus proches auront recherché l’ouvrage le plus rare comme un recueil d’haïkus de Natsume Sôseki traduits en français, le plus inattendu comme les mémoires de Max gallo, le plus insolite comme "Sous les yourtes de Mongolie" de Marc Alaux, le plus abscons comme "Pardonner" de Jacques Derrida, voire le plus divertissant comme le dernier "Silex and the city" de Jul ou le plus attendrissant comme "Ça m’agace" de Jean-Louis Fournier. Le choix, donc, ne vous manquera pas. Glissez auparavant dans votre lecteur de disques l’enregistrement des deux sonates pour piano de Sergei Rachmaninov (en mineur op.28 et en si bémol mineur op.36) magistralement interprétées par Nicolaï Lugansky. Mes amis Jacques et Sophie n’avaient pas tari d’éloges à son sujet après l’avoir entendu, l’an passé, dans le concerto pour piano et orchestre n°2 en ut mineur opus 18 du même Rachmaninov au festival de la Roque d’Anthéron. Ils avaient raison. Pour tout autre que lui, s’attaquer aux deux sonates pour piano du maître russe passerait pour une gageure. La première n’est guère fréquentée pour cause de longueur inhabituelle et la seconde requiert des vertus exceptionnelles. Le luxuriant langage de l’âme russe baigne le message de l’une et l’autre d’un lyrisme parfois quelque peu boursouflé qui exige de l’interprète une grande virtuosité et une égale modestie. Nicolaï Lugansky ajoute à ces belles qualités la sureté technique et l’énergie rythmique indispensables pour les affronter. Il fait ainsi ressortir avec précision le motif qui ouvre la première sonate. Entre fougue et balancement, il parvient encore à cultiver la surprise qui crée avec bonheur l’unité du premier mouvement. Il n’en recherche pas pour autant les effets et sait se faire aimable sous l’agilité. Dans la seconde sonate, il n’oublie pas d’évoquer le son des cloches si cher au compositeur. Il y brille, bien sûr, dans les passages fougueux, mais il sait aussi demeurer pudique et presque en retrait face à l’éloquence naturelle de Rachmaninov. Comme s’il était en connivence avec lui malgré le siècle qui les sépare. La connivence de deux âmes russes pétries d’exaltation et d’idéalisme. Lorsque vous entendrez mourir le dernier accord, vous serez définitivement persuadé qu’il faut toujours suivre les conseils de la fille d’Artémis lorsqu’elle recommande de ne rien faire. (© Roland Bosquet)

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Commentaires
D
Point de fraises à récolter, je prendrai donc des probiotiques pour éviter la gastro post-foie gras, le Concerto No 3 de Rachmaninov interprété par Byron Janis et "Molloy" de Samuel Beckett. Ne pas acheter le Goncourt, pour laisser la chance à ceux qui manquent d'imagination mais qui veulent me faire plaisir, de me l'offrir. Pleased to meet you Vieux Bougon.
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