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Chroniques d'un vieux bougon
1 mai 2013

Un parfum de muscade

muguet

     Égarées dans la forêt profonde qui recouvrait alors le monde, neuf sœurs de grande beauté erraient désespérément. L’une ânonnait de longues mélopées aux accents graves et austères. Une autre esquissait de temps à autre des petits pas de danse pour tromper ses alarmes. Une troisième demeurait pour une fois silencieuse quand la magnificence des sous-bois aurait dû l’inspirer. Seule la dernière décrivait à mi-voix les signes du ciel qui lui suggéraient un chemin. Mais nulle ne l’écoutait. Comme d’habitude. Soudain, portée par un zéphyr chargé de mille fragrances, une mélodie traversa l’air. Naïve et aérienne. Presque transparente. Elles se précipitèrent. Une clairière s’ouvrit devant elles. Assis sur la souche d’un vieux chêne qu’une mauvaise tempête avait couché dans l’herbe, un jeune homme pinçait paisiblement les cordes de sa lyre. Ignorant ses admiratrices, il  fixait les nues comme s’il leur dédiait la ritournelle qui glissait entre ses doigts, fluide et délicate. Mais la gracieuse Érato, subjuguée, ne put retenir un soupir. L’homme baissa les yeux et, à la vue des jeunes filles, s’arrêta de jouer. Un sourire gai comme un soleil illumina son visage. Pourquoi t’arrêter, s’exclama Calliope, la plus hardie ? Jamais, je n’ai vu plus éclatantes grâces, murmura-t-il. Et son regard allait de l’une à l’autre, émerveillé et rieur : Calliope à la couronne d’or, Clio au cou de cygne, Érato coiffée de myrte, Euterpe serrant sa flute dans sa paume, Melpomène au front ceint de pampre de vigne, Polymnie ornée de perles rares, Thalie  au sein sculpté de feuilles de lierre, Uranie aux yeux brillants d’étoiles et Terpsichore aux guirlandes  tombant jusqu’aux genoux. C’est alors qu’il aperçut leurs pieds perdus dans les dernières feuilles mortes qui jonchaient ça et là le sol.  Son regard se ternit et un sourd chagrin voila ses traits. Effrayées, les voyageuses reculèrent d’un pas. Seule Euterpe, la musicienne, surmonta sa crainte. Joue encore, implora-t-elle.  Il dressa alors son instrument et gratta un accord si mélodieux qu’un tapis de petites clochettes au blanc immaculé exhalant un chaud parfum de muscade revêtit instantanément la clairière. Émerveillées, les neuf sœurs n’hésitèrent plus à poser le pied et s’empressèrent aussitôt auprès de leur bienfaiteur. Et l’une de le bénir chaleureusement de sa belle voix, une autre de lui susurrer à l’oreille quelque compliment aimable et la troisième d’ébaucher à son intention un entrechat de fantaisie. En un mot, pour le remercier, elles promirent toutes de ne le quitter jamais. Tinrent-elles leur serment ? Clio elle-même ne le saurait le prétendre. Quoi qu’il en soit, c’est sans doute en souvenir de cette rencontre légendaire avec Apollon qu’en Pays d’Oc, les jeunes filles avaient le droit, au mois de mai, de choisir leur fiancé et d’échanger avec lui quelques tendres baisers. Les femmes mariées elles-mêmes pouvaient impunément recevoir les hommages de leurs amants. A la condition, bien sûr, qu’ils soient accompagnés d’un brin de muguet.

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