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Chroniques d'un vieux bougon
7 mai 2013

L'orgue Parisot

Parisot

         Falaise. Les voûtes romanes de Notre Dame de Guibray vibrent sous les assauts de la fameuse Toccata qui précède la fugue en mineur de Jean-Sébastien Bach. A l’orgue Parisot, un successeur anonyme de Gustav Leonhardt qui ne ménage pas son plaisir ni celui de ses auditeurs. Je ne suis pas seul en effet à être sagement assis sur le dernier banc, particulièrement inconfortable, de l’église. Une jeune femme, à côté de moi, tente de suivre le tempo d’un doigt distrait et son menton suit librement les envolées fantastiques de la mélodie. A côté d’elle, un homme âgé l’accompagne manifestement, cheveux longs et gris, visage maigre, très maigre, comme creusé par la vie ou quelque maladie de la vieillesse. Le regard fixé sur la lueur rouge qui clignote au pied du tabernacle, ses lèvres semblent laisser filer une longue et prégnante prière. Quelle supplique envoie-t-il ainsi à Dieu ? Demande-t-il la guérison ? Un peu de temps pour se préparer à partir ? Mais peut-être ne demande-t-il rien pour lui-même. Prenez soin d’elle lorsque je ne serai plus. Voilà ce qu’il murmure dans le vacarme qui secoue l’édifice. Là haut, dans notre dos, l’organiste abuse à mon goût de la bombarde dans l’espoir de donner plus de relief encore à la sortie de la toccata et entrer en fanfare dans la fugue. Mais ses prétentions se perdent  brusquement dans un glacis pitoyable de sons discordants. Le silence s’abat d’un coup. Les têtes se tournent dans un ensemble parfait vers le perchoir. La jeune femme se lève et se penche vers le vieil homme. Ils chuchotent quelques mots incompréhensibles et se dirigent vers le porche ouvrant sur le parvis. Je décide de les imiter. Mes pas m’entraînent alors comme chaque année vers les petites rues pittoresques de l’ancienne ville. Les bombardements alliés lors du Grand Débarquement n’en ont guère épargné que quelques bâtisses centenaires. Pour répondre aux goûts des touristes,  les Bâtiments de France tentent aujourd’hui de les rafistoler. Mais d’où nous vient cette fascination pour les vieilles pierres ? Nostalgie des époques révolues lorsque les remparts du château seigneurial étaient censés protéger aussi le manant ? Nostalgie de notre enfance lorsque, à l’abri des épais murs de la ferme, nous écoutions, assis dans l’âtre, les récits fabuleux des temps jadis ? Un autocar libère ses passagers sur l’esplanade de la salle de spectacle de la ville pompeusement dénommée "Forum". Un club de troisième âge, sans doute, si j’en crois l’allure précautionneuse qui anime sagement le petit troupeau. Je traverse la place du marché maintenant abandonnée par les chalands et qui se vide peu à peu de ses étals. Il me faut hâter le pas pour rejoindre la librairie où je dois dédicacer mon roman "Le Chartil" qui raconte la migration des paysans normands partis d’Avranches et sa région pour prendre ferme en Limousin. Jean-Sébastien Bach me guide avec fracas.

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