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Chroniques d'un vieux bougon
19 juin 2013

Retour à Yvetot, Annie Ernaux.

Ernaux

      Lillebonne, Yvetot. Annie Ernaux naît et passe son enfance au cœur du pays de Caux. Routes sinueuses et étroites, plongeant dans des vallées profondes et noires. Sombres comme ces paysans teigneux décrits par Maupassant. Yvetot, "la ville la plus laide du monde après Constantinople" écrivait Flaubert dans sa "Correspondance". Le horsain n’y est guère le bienvenu. Les pauvres non plus. Annie Ernaux fait partie de cette basse caste aux odeurs d’eau de javel que les filles de notaires moquent et méprisent. Elle parle évidemment la langue de ce petit peuple des "dominés". Par les études, elle va découvrir celle des castes savantes et dirigeantes. Elle en devient l’un des totems grâce aux prix littéraires. Sous le prétexte d’explorer sa vie, elle tente au fil de ses livres d’écrire "la" vie. Tentatives discutées, critiquées, rejetées parfois à cause du caractère trop manifestement endogène de ses distinctions. Demeure pour elle malgré tout le déchirement entre la langue littéraire qu’elle pratique et enseigne et sa langue d’origine. « Comment, en écrivant, ne pas trahir le monde dont je suis issue ? ». Cinquante quatre ans après être partie vers le monde des dominants, comme elle dit, elle revient dans la "ville de sa mémoire" en arborant  enfin son titre d’écrivain. Antoine de Saint-Exupéry disait que l’on est du pays de son enfance. L’auteur Annie Ernaux a fini par accepter son pays d’enfance. Non seulement le bourg et la rue du Clos-des-Parts où ses parents, d’abord ouvriers, avaient tenu leur café-épicerie.  Non seulement l’école ou le lycée de Rouen qui l’ont nourrie de littérature. Mais surtout peut-être ce pays des petites gens qui a forgé sa langue, "ses désirs, ses rêves, ses humiliations". On croit qu’il est possible de s’en extraire, de le fuir, de l’oublier. Il reste au contraire solidement accroché avec les souvenirs, punaisé sur la tapisserie défraîchie du salon à côté des photos de baptême et première communion. Celles du mariage exposent le monde d’en haut, coloré et brillant. Mais l’enfance ne s’efface jamais. Avec ce retour à Yvetot, Annie Ernaux reconnaît que cette grammaire approximative, ce vocabulaire revêche, cet accent renfrogné qui ont bercé et nourri ses premiers pas l’ont construite autant que tous les livres qu’elle a lus et tous ceux  qu’elle a écrits. Et cette fois, à travers son expérience personnelle, elle  touche peut-être enfin à l’universel auquel elle aspirait tant. (Même si les photographies personnelles ajoutées pour donner de l’épaisseur matérielle à l’ouvrage sont tout à fait superflues et relèvent plutôt de la période d’avant lorsqu’elle frôlait alors les frontières de l’exhibition.)    

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