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Chroniques d'un vieux bougon
24 juin 2013

Pelouse de square

 square

      Vous nous parlez toujours de votre courtil, me dit Henri. Mais je trouve que votre jardin n’est pas mal non plus ! Henri est dressé debout au bord de ma terrasse et contemple avec ravissement bouleaux, érables et fayards qui marquent, en demi-cercle, la limite de la pelouse. Je le remercie pour le compliment. Henri est un expert en matière de verdure. Il est arrivé hier de son Pays d’Avranches dans le but de retrouver un vieil ami à lui installé dans la région dans les années soixante pour y prendre ferme. (J’ai raconté l’histoire de ces émigrés normands dans mon roman "Le Chartil"). Henri donc s’y connaît en matière de verdure. Le pays avranchais est si régulièrement arrosé par l’océan tout proche que l’on doute qu’il perde jamais la couleur verte dont il se revêt comme d’un habit du dimanche. Les compliments d’Henri me vont donc droit au cœur. D’autant qu’il en rajoute à la vue du potager tout en me dispensant doctement ses conseils au sujet de la culture des haricots. Il m’accompagne pour ma visite rituelle aux chèvres naines dans leur enclos et insiste pour leur donner leur gâterie de pain dur. S’extasie devant les reflets du plumage marron des pigeons qui en profitent pour défiler devant lui comme de vulgaires mannequins de haute couture. Admire les fleurs des pivoines aux larges pétales blancs cernés d’un filet rosé du plus bel effet. On dirait mes pommiers, s’exclame-t-il. Mais en plus gros ! Nous parlons du festival "Jazz sous les pommiers" qui se déroule chaque année dans la ville voisine de Coutances. Il grogne à cause de la compétition qui oppose les deux agglomérations mais avoue y avoir assisté à l’hommage à John Coltrane par le trio Vander et Ricky Ford. En fait, conclut-il en admirant la taille du pied de rhododendron dont les fleurs sont maintenant fanées, l’homme est fait pour vivre dans la verdure et même sur une pelouse. Il donne un coup de pied rageur dans une des innombrables taupinières qui poussent comme des verrues sur le tapis de fétuque. Regarde en ville, poursuit-il. Ils croyaient pouvoir s’en passer. Erreur ! Maintenant ils en mettent partout. Mais comme ils ne veulent tout de même pas que ça ressemble à la campagne, ils mettent des bancs sur les bords, des statues au milieu et, çà et là, des panneaux d’interdiction de marcher dessus. J’y emmène ma femme le vendredi. Elle aime bien sortir. Elle s’assied sur un banc et elle tricote. Elle aime bien tricoter. Pendant ce temps là, je vais faire mon loto avec les copains. Alors qu’il s’apprête à monter dans sa voiture, il agrippe mon bras une dernière fois. Je crois que je vais arrêter le loto, me confie-t-il. Voilà vingt ans que je coche leur carton. Toujours les mêmes numéros. Eh bien, ils ne l’ont toujours pas trouvé ! Bon, c’est tout de même moi qui paie, hein ?  Tandis qu’il s’éloigne, je l’imagine jetant des croutons de pain dur aux canards qui dessinent des rides sur le bassin du square. Et j’imagine le regard perplexe des canards devant son geste auguste de semeur. Mais je repousse cette vilaine pensée de mon esprit. Ma mère disait toujours que ce n’est pas bien de se moquer.

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Commentaires
G
Toujours aussi réel,j'ai l'impression d'être sur cette pelouse et de voir les couleurs des fleurs,de toute la nature,de sentir tous les parfums.Merci
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