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Chroniques d'un vieux bougon
17 septembre 2013

2 semaines d'absence

absence

      Il m’arrive bien évidemment de temps à autre de quitter mon courtil et ma vallée perdue au cœur des Monts pour aller visiter le monde. Mes voisins obligeants donneront régulièrement leur poignée de foin à mes chèvres naines. Ils réapprovisionneront mes pigeons en blé et changeront l’eau de leur baignoire un jour sur deux. Ils ne manqueront jamais non plus de donner sa pâtée à César, le chat-donné qui s’est installé dans mes meubles. Je peux donc toujours partir l’esprit tranquille. Mes responsabilités seront assumées. A ceci près qu’un jardinier ne part jamais l’esprit tranquille. Une canicule imprévue peut toujours s’abattre sur la région. Les poireaux vont alors dessécher sur place, le persil s’étioler, les choux perdre leurs précieuses feuilles et les salades dépérir. Du moins celles qui n’auront pas été sauvagement dévorées par les lapins qui, profitant de l’absence du maître des lieux, danseront la carmagnole au milieu de ses platebandes. Mais il y a pire catastrophe que la canicule. Des masses d’air froid et sec en provenance de Scandinavie et voyageant en altitude peuvent fortuitement rencontrer les hautes pressions chargées d’humidité de la troposphère locale. Des orages éclateront alors, déverseront des trombes d’eau sinon de grêle sur les jardins potagers et les ruineront en quelques minutes. C’est pourquoi le jardinier moyen tout à fait ordinaire est-il ravagé par les soucis dès qu’il passe sa porte. En effet, si les scénarios les plus apocalyptiques ne sont pas toujours les plus fréquents, il en est un cependant qu’il redoute par-dessus tout car il est aussi le plus sournois : l’invasion des mauvaises herbes. Elles s’insinuent dans le moindre recoin, se répandent dans les endroits les plus inattendus, prolifèrent  plus vite que la race humaine elle-même, absorbent l’humidité destinée aux plantations, réquisitionnent les éléments nutritifs à leur seul profit, dépassent bientôt ces légumes auxquels il a apporté tous ses soins attentifs en prévision de l’hiver et étendent complaisamment leur ombre telle une canopée tropicale. Ses poireaux vont alors s’étioler, son persil dessécher et ses choux déprimer. Les lapins eux-mêmes se détourneront. Mais il y a pire catastrophe encore que les mauvaises herbes. J’ai connu un jardinier tellement angoissé qu’il doublait ses clôtures par crainte du passage sur ses terres d’une horde de gnous en transhumance. Il avait pris langue avec un sien cousin, garde-chasse au château voisin, afin qu’il effectue des rondes  régulières. Le brave homme, qui n’osait contrarier  un membre éminent de sa famille, a toujours prétendu assurer sa garde avec conscience. On raconte, sous le boisseau, qu’en réalité, il buvait son maigre pécule au bistrot d’à côté. Quoi qu’il en soit, comme tout esprit clair peut le concevoir, jamais aucun troupeau de gnous ne traversa la contrée. Mais un jardiner qui s’éloigne de son jardin ne garde jamais l’esprit clair. C’est pourquoi, tandis que le train du retour l’achemine à grand vacarme vers son village, l’angoisse l’étreint-elle. Une angoisse qui prend de l’ampleur au rythme même du tacatac des boggies sur les rails.  Grâce à Dieu, les calamités tant redoutées lui seront cette fois encore épargnées. Ni canicule excessive ni orages tempétueux.  Ni déferlement de lapins, de gnous, de sangliers, de chevreuils ou tous autres animaux sauvages. Pas de nuages de sauterelles, de pucerons ravageurs ni de chenilles processionnaires. Son retour a même coïncidé avec un nœud lunaire. Ce qui lui a donné une bonne excuse pour continuer à ne rien faire une journée de plus. Mais il sait que demain… On voit bien par là que, quoi que fasse le jardinier, le monde continuera de tourner comme il lui plaît. 

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