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Chroniques d'un vieux bougon
18 septembre 2013

L'homme pressé

homme_presse

         En cherchant tout autre chose, en l’occurrence les "Lettres d’Abyssinie" d’Henri de Monfreid, j’ai retrouvé hier soir par hasard "L’homme pressé" de Paul Morand. J’oubliai l’Abyssinie et me replongeai dans la pitoyable aventure de Pierre Nioxe, l’antiquaire qui avait oublié que c’était précisément le temps qui avait donné sa patine aux meubles de la Haute Époque dont il s’était fait une spécialité. A l’image du héros malheureux de Paul Morand, notre époque est elle aussi obsédée par le temps qui passe. On pouvait espérer que les quelques beaux jours d’été qui viennent de s’écouler apaiseraient les ardeurs de chevauchée fantastique des citadins. Las ! Il semble qu’une nouvelle frénésie se soit emparée d’eux. La ville de Strasbourg est réputée pour sa sagesse alsacienne. Pourtant, dès le lever du jour, les trottoirs sont pris d’assaut par des hordes d’hommes et de femmes qui courent en tous sens. Qui à droite, qui à gauche, ils s’ignorent superbement et se frôlent sans se voir. Enfermés dans leur quête infernale du temps qui va leur manquer, qui leur manque déjà, qui leur manquera forcément. Ils s’engouffrent en courant dans le tramway à Bonne Nouvelle, en sortent en courant à République, attendent la correspondance avec impatience en téléphonant à la planète entière, bondissent dans le wagon bondé de voyageurs comme eux en consultant leur montre suisse. Vieux Marché aux Vins, Faubourg National, Musée d’Art Moderne. Les édiles strasbourgeois n’ont pas pris le temps d’accorder du temps à leur musée pour mûrir et opposer ainsi au temps qui s’enfuit le sérieux des choses anciennes. L’architecture de leur musée est non seulement moderne mais surtout résolument contemporaine. On dirait une médiathèque. On ne peut cependant leur donner totalement tort. Il fallait assurément un tel bâtiment pour héberger les œuvres d’avant-garde qui y sont exposées. En bousculant avec hardiesse la stricte chronologie, les commissaires affirment qu’ils ont pu ainsi privilégier des approches thématiques et faire émerger les problématiques sociétales. Nous leur ferons entièrement confiance à ce sujet. Néanmoins, cette avant-garde sent déjà la poussière. Point de grande figure internationale de l’art déstructuré, pas de minimaliste baroque ni même de représentant de la défragmentation de l’art schizophrène. Leur course d’après demain est déjà d’arrière-garde. L’homme pressé de Paul Morand courait à sa perte. L’homme pressé de Strasbourg égare sa substance projecturale. Comme s’il était encore à la recherche de la meilleure formule pour perdre deux semaines en quinze jours ! Si perdre son temps est d’abord un art qui se cultive le mieux à la campagne, perdre celui d’autrui semble manifestement un plaisir pour les responsables de ce parcours hors du temps. Et l’on voit bien par là que dorénavant, le monde, hélas, continuera de tourner comme avant !

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