Vie publique, vie privée.

         Il avait sans aucun doute remarqué que je veille avec attention sur le hérisson qui hiberne sous mon tas de bois, que je vais chaque jour visiter mes chèvres naines en leur enclos avec un crouton de pain dur en guise de friandise, que j’approvisionne régulièrement en blé la mangeoire de mes pigeons, que je jette une poignée de graines dans les entours de leur volière pour le faisan établi dans les bois voisins qui y vient régulièrement en maraude et que je dépose des boules de graisses dans une petite réserve de ma fabrication pour les chardonnerets et autres mésanges qui habitent les haies de forsythias et de troènes qui bordent mon courtil. C’est pourquoi, persuadé sans doute que je n’oserais pas l’abandonner aux périls d’une vie sauvage,  César s’est un jour installé sans vergogne dans mes meubles. Comme ma chatte Adèle avant lui,  il réserve à son usage exclusif une vieille chaise en paille avancée devant la cheminée ou s’enroule benoîtement sur le canapé dès j’ai le dos tourné. À n’importe quelle heure de la journée mais de préférence au moment le moins opportun, il sollicite sa pitance d’une voix de gorge sonnante et peu amène et la boude lorsqu’il estime que mes restes ne sont assez bons pour lui. Il a horreur des portes fermées et  s’évertue avec un talent inégalable à se situer toujours du mauvais côté. Il attend alors patiemment que je sois confortablement installé dans mon fauteuil pour demander à sortir ou à rentrer. En un mot, j’ai parfois l’impression de devoir m’estimer heureux d’être accepté dans ma propre demeure en dépit de tous mes défauts. Nous parvenons malgré tout à cohabiter en bonne intelligence. Nous supportons, non sans bougonner parfois, le tohu-bohu du couple de hiboux qui a élu domicile dans les combles de ma maison pour l’hiver. Leurs sorties nocturnes et leurs retours ne manquent jamais d’être bousculés mais nos rêves n’en reprennent ensuite que plus légers. De temps à autre, les loirs, qui partagent avec eux la libre occupation de mon grenier, sortent de leur sommeil pour se dégourdir les jambes au cours d’une partie de ballon endiablée avec une noisette ou un gland. Mais bientôt épuisés par tant d’efforts, ils rejoignent les douces prairies de Morphée et nous les accompagnons. César n’est pas à proprement parler un grand amateur de musique. Bach ou Beethoven et plus encore Wagner sont trop bruyants à son goût et il le fait vertement savoir. Mais si Robert Schumann sous les doigts d’Hélène Grimaud le laisse indifférent et s’il demeure insensible au talent de Daniel Barenboïm dans les sonates pour piano de Mozart, il apprécie ouvertement la "Prédication aux oiseaux" de Franz Liszt interprétée par Anne-Marie Dubois. Atavisme ? Véritable appétence pour le compositeur ? Allez savoir avec les chats ! Mais l’un de ses plaisirs favoris est sans conteste de déambuler sur le clavier de l’ordinateur lorsqu’il estime que je consacre trop de temps et d’attention à mes présentes chroniques. Dédaigneux et condescendant, il toise l’écran d’un regard méprisant : "encore dans tes élucubrations ?" Peut-être craint-il que je ne lève un voile indiscret sur ses propres turpitudes ! Je m’en garderais bien. Il a droit, lui aussi, à la confidentialité de sa vie privée. Comme tout chat normal. Car ainsi vont de par le monde toutes les normalitudes. Dans l’ombre de la nuit.  

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Comments

[gballand]

N'ayant pas de chat - et n'ayant jamais eu d'animaux - je lis toujours avec surprise la relation que l'on peut avoir avec eux... Un texte fort intéressant.

[genevieve60]

Bonjour cher vieux bougon

A savoir que nous habitons chez nos chers félins, c'est leur maison et quelques fois je demande à Princesse si cela ne l'ennuie pas trop que cela soit moi qui me lève à trois heure du matin pour payer les factures!!! mais elle m'apporte tellement de réconfort que je lui ai fait un petit poème sur mon blog !!! Quand on Aime ...

Bien sincèrement!