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Chroniques d'un vieux bougon
26 février 2014

Les visiteurs du soir

Visiteurs_du_soir

        Visite impromptue, hier soir,  de deux candidats au suffrage communal. Ils arrivent juste au moment où les dernières lueurs du jour disparaissent derrière les collines. Et juste au moment où, depuis deux soirs, un oiseau que je ne suis pas parvenu à identifier s’installe dans une petite haie de forsythias proche de ma terrasse et siffle quelques notes que je ne reconnais pas. La clarté du phrasé musical et son rythme nettement martial montre qu’il s’agit pour lui de marquer son territoire et d’attirer l’attention d’une éventuelle femelle. Je repousse donc mon enquête à plus tard en espérant que mon nouveau voisin ne se découragera pas. J’ai horreur de ne pas savoir. Donc, mes visiteurs se présentent à ma porte armés de bonnes intentions et d’une profession de foi sur papier recyclé. « Je vous en prie, finissez d’entrer ! » César se replie en bougonnant dans la cuisine tandis que les envahisseurs s’installent à sa place dans le canapé. L’homme affiche un cheveu grisonnant savamment en bataille, de fines lunettes cerclées d’or, ou presque, en duffle-coat et pataugas des années 60 et s’exprime avec l’affectation d’un  abonné à Télérama. Elle, disparaissant presque dans un loden trop grand pour elle, s’excuse sobrement de n’être qu’une modeste coiffeuse à domicile et mère de deux enfants. Je ne me souviens pas les avoir encore jamais rencontrés dans le village. Ni chez le boulanger, ni au bistrot de la place de la mairie, ni à l’église pour un enterrement quelconque ni même au cours d’une réunion à la salle des fêtes. « Donc, dis-je en leur servant une larme de Tariquet en guise d’"apéro", vous vous présentez aux élections ! » Il s’affirme en effet décidé à défendre les principes écologiques afin de faire avancer le progrès dans notre campagne reculée. Elle témoigne une aussi grande détermination à faire progresser la démocratie environnementale dans les affaires municipales. Je comprends alors pourquoi ils se font si rares dans le bourg. Y "monter" risquerait de surcharger leur empreinte carbone ! Bien que je doute qu’ils soient venus jusque chez moi en bicyclette ! « Vous défendez donc les éoliennes ! » Ils les défendent bien sûr et seraient même prêts à se cotiser pour en ajouter d’autres. « Mais nous sommes tout de même de la liste d’opposition ! » J’entends bien puisqu’ils veulent être maires à la place du maire. « De toute façon, il n’y a pas d’autre liste. Du moins pour l’instant ! » Nous brassons ainsi du vent pendant de longues minutes jusqu’à ce que César, agacé sans doute que l’on fasse si peu de cas de sa petite personne, réclame à sortir d’un roullement de gorge bien senti. À mon retour, je trouve les deux impétrants dressés devant l’antique armoire normande qui me tient lieu de bibliothèque. « Vous écrivez ? » me demande-t-elle en désignant l’un de mes livres sagement encadré par le guide Clause 1972 et "L’arbre de l’antiquité à nos jours" d’Alain Corbin. Je confirme bien entendu tout en pensant que je ne les ai encore jamais aperçus non plus à mes séances de dédicaces au bureau de tabac-presse du village. Tandis qu’ils s’éloignent dans la nuit vers d’autres victimes à convaincre, je songe à cette phrase d’Alexandre Vialatte : "Pourquoi rester n’importe qui quand on peut devenir n’importe quoi ?" Et il ne me fait alors aucun doute qu’après les élections, le monde continuera de tourner autant de guingois qu’avant.

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