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Chroniques d'un vieux bougon
10 mars 2014

Gens ordinaires

homme_ordinaire

       Comme prévu par notre météorologie nationale, le soleil brille et réchauffe l’atmosphère. Les chênes, châtaigniers et fayards n’ont pas encore retrouvé leurs feuilles. Mais on sent bien que tout au long de leurs branches nues désespérément tendues vers le ciel commence à monter une sève pleine d’ardeur. Les bourgeons ne vont pas tarder à gonfler et à s’ouvrir, enveloppant le paysage dans un nuage au vert acidulé plein de promesses. J’entre dans le bourg au moment où les cloches de l’église annoncent neuf heures. Après un parcours compliqué au milieu de coquets pavillons cernés de parterres de narcisses et de forsythias en fleurs,  je stationne ma voiture devant la mairie. Juste à temps pour croiser le maire qui sort pour sa croisade électorale sur la place du marché. Les mauvaises langues de l’opposition affirment qu’il pourrait, cette fois, ne pas être réélu dès le premier tour. L’usure du pouvoir, peut-être, la poussée inexorable des jeunes générations, les ambitions féminines qui n’hésitent plus à s’exprimer, surtout en ce jour de "journée internationale de la femme", la presse locale qui leur donne la parole et même le journal télévisé régional qui vient de traiter le sujet pendant presque deux minutes et demies. « Je viendrai vous voir ! » me lance-t-il, jovial, entraînant dans son sillage sa cohorte habituelle de courtisans. Il le peut bien s’il le désire, après tout, mais peu me chaut. Je ne suis ni natif ni électeur de sa commune. Je suis simplement de passage pour une séance de dédicaces de mon dernier roman dans la librairie-presse-salon de thé, "La page bleue", qui ouvre sa vitrine sur la Grand-Place. Ce sera, toute la matinée, un défilé incessant d’épouses de retraités en quête du quotidien préféré de leur mari, de jeunes femmes en quête du quotidien préféré de leur compagnon et de leur hebdomadaire "à elle", de mamies avec leur petit-fils pour l’achat du journal-avec-gadget que maman ne veut jamais rapporter, d’Anglais à la recherche de leur "Times" et de jeunes demoiselles absolument désespérées à qui il faut, absolument, une carte téléphonique prépayée, leur forfait étant absolument dépassé depuis bientôt un quart d’heure. Onze coups résonnent sur la place comme un avertissement lorsque la "patronne dépose une tasse de café à côté de mes livres. « Vous l’avez bien mérité ! ». J’avoue avoir surtout partagé les conversations de la clientèle, écouté ses préoccupations, ses soucis, présenté mes petites histoires, plaisanté, dédicacé, signé, congratulé, complimenté, remercié et toutes autres choses que l’on pratique en société lorsque l’on a été bien élevé et qu’on l’est resté. Lorsqu’après midi et la fermeture, derrière moi, de la porte de la librairie, je prends le chemin du retour, je prends conscience de l’immense fossé qui sépare les préoccupations des "gens ordinaires" que je viens de côtoyer et celles que l’on voit s’étaler dans les journaux et à la télévision. Il n’a guère été question, ce matin, que de printemps qui arrive enfin, de jonquilles, de violettes et de vols de grues. Quelques rares voix masculines ont osé émettre, ici ou là, un pronostique sur le résultat du match de rugby de l’après-midi. Mais l’essentiel des discussions a porté sur l’ouverture de la pèche à la truite. Sur les méthodes de l’un, sur celles de son père, de son oncle, de son grand-père, de son voisin. Sur le temps qui est idéal, sur le coin "secret" que personne ne connaîtrait, sur le bon débit de la rivière après le barrage électrique ou après l’apport, substantiel, du ruisseau  qui traverse le village d’en haut et qui descendrait tout droit des volcans d’Auvergne si ce n’est du Mont Gerbier des Joncs lui-même. En un mot, que des propos normaux proférés par des personnes normales. Ce qui n’est pas vraiment étonnant, malgré tout, puisque nous vivons sous le règne de la normalitude.  On voit par là qu’il ne faut peut-être pas désespérer de l’homme ordinaire. Mais est-ce que cela suffira à faire tourner le monde plus droit ? Là, c’est une autre affaire !

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Commentaires
L
Bref tu as vécu une matinée ordinaire avec des gens extraordinaires !
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