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Chroniques d'un vieux bougon
17 mai 2014

Mutter et Dvorak

Mutter_Dvorak

      Le ciel est dégagé mais un vilain vent de traverse rafraîchit l’air. Il me faut pourtant tondre la pelouse de mon courtil négligée depuis trop longtemps. Après avoir tournicoté entre les taupinières tel un Fangio entre les chicanes des 24h du Mans, je rejoins sans attendre mon bureau dans l’espoir de retrouver mon manuscrit en cours. De retour de l’une de ses randonnées sauvages, mon chat César dort benoîtement sur sa chaise et m’ignore superbement. La maison est calme et le silence reposant. Je suis malgré tout bien incapable de me concentrer sur ma tâche. Je glisse alors dans le lecteur de disque le concerto pour violon et orchestre en la mineur de Dvorak avec Anne-Sophie Mutter et le Philarmonique de Berlin dirigé par Manfred Honek et décide de me plonger enfin dans le "Tempête" de Jean-Marie Le Clézio qui m’attend sur la petite table du salon. Je n’en lirai guère que la page liminaire. Dès les premières mesures de l’allegro ma non troppo, le violon d’Anne-Sophie Mutter impose sa présence par la puissance de son timbre et une volonté presque agressive d’expression. Puis la mélodie s’installe avec la complainte populaire de la dumka abordée avec délicatesse. Suivent les attaques résolues du deuxième mouvement, ses pianissimos chuchotés et l’évocation de la Bohême en évitant le mauvais goût du folklorisme tzigane trop souvent mis en avant. Mais comment s’abandonner sereinement face à l’effrayante  maîtrise technique de l’artiste et sa virtuosité dans les redoutables octaves suraiguës, les arpèges vertigineux et les tierces  extrêmes ? Elle s’en joue avec aisance au point d’oublier parfois de s’effacer devant la musique. Avant de se laisser emporter par le furieux rythme de danse slave à trois temps si cher à Dvorak de l’allegro giocoso du troisième mouvement. Lorsque le silence retombe, je croise le regard de César, assis sur le bras du fauteuil, le poil dressé et les oreilles pointées vers les enceintes. Le lyrisme des deux premiers mouvements aurait-il bousculé sa sieste ? La frénésie du finale l’aurait-elle réveillé ? À moins que, comme moi, il n’ait été un peu gêné par la désagréable impression que, décidément, Anne-Sophie Mutter "en fait trop" dans son désir d’imposer une interprétation personnelle digne de son tempérament de feu ! Encore tout ébouriffé par ce que je viens d’entendre, je me lève tandis que l’orchestre s’engage dans les premières mesures de la belle et lyrique Romance qui accompagne le concerto. César se précipite vers la porte de la cuisine pour sortir comme s’il craignait que je n’écoute ensuite le fougueux Mazurek qui clôt le disque. Je l’ignore avec mépris. D’ailleurs, un dernier rayon de soleil perce les nuages du couchant comme une invitation à le rejoindre. Dehors, le rossignol installé sur la plus haute branche du chêne qui marque l’entrée de mon courtil lance ses trilles apaisés vers le ciel.  Ainsi le monde continue-t-il de tourner même si c’est toujours un peu de guingois. (Anton Dvorak, Anne-Sophie Mutter et le Berliner Philarmoniker dirigé par Manfred Honek, Deutsche Grammophon)

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