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Chroniques d'un vieux bougon
22 mai 2014

L'affaire des bouchons

affaire_bouchons

       L’affaire remonte au siècle dernier. M’Baa vivait dans un village à trois jours de marche de la chefferie et était devenu, au fil des années, le seul et dernier potier de toute la région. Son père lui avait appris à malaxer et à cuire  la terre du fleuve comme son propre père avait fait avant lui. C’est assez dire que M’Baa connaissait ce métier de potier et il le connaissait si bien que l’on venait acheter ses calebasses non seulement de la chefferie mais aussi de la ville du gouverneur. Les femmes les aimaient bien. « Elles sont plus lourdes que celles creusées dans les calebasses qui poussent en lisière de la forêt, disaient-elles. Elles ne se renversent jamais ». Et puis, un jour, les femmes des blancs ont apporté avec elles des calebasses en plastique et les femmes ont dit qu’elles étaient moins lourdes à porter que celles fabriquées par M’Baa. Depuis, M’Baa ne fait plus le potier et vit dans le Grand Hôpital de la ville du gouverneur. Il connaît bien le directeur dont la mère était l’épouse d’un cousin à lui parti du village pour marier une femme qui vivait alors en pays Kapi Se. Mais, à l’époque de l’affaire, M’Baa allait encore extraire sa terre dans un trou peu éloigné du fleuve que son père et son père avant lui avaient eux-mêmes creusé. Puis il s’installait à la devanture de sa case et fabriquait ses calebasses. Les enfants aimaient bien le regarder pétrir la terre, la monter, la caresser, la mouiller encore, retoucher une aspérité, la lisser avec soin et la déposer en plein soleil le temps qu’elle sèche avant de la faire cuire dans son petit four. Il chantait tout le temps à l’époque et les enfants chantaient avec lui tout en s’émerveillant du ballet de ses mains qui faisaient surgir petit petit une belle calebasse pour la mère de l’un, la grand-mère de l’autre, la tante, la voisine ou pour des gens de la chefferie. Un jour, une grande voiture de militaire s’arrêta sur la place du village. C’était assez rare pour que les enfants se précipitent pour l’admirer et admirer les passagers. De la devanture de sa case, M’Baa voyait la danse des enfants, le pas lourd du fils du chef qui faisait semblant de regarder ailleurs et même, derrière le rideau qui fermait sa case, le joli minois de la fille de sa sœur qui était bientôt en âge de marier. L’homme qui conduisait la voiture militaire descendit en soufflant à cause de la poussière qui volait autour d’eux et ouvrit la portière. Un homme, habillé comme les blancs d’autrefois, posa dignement son pied sur le sol, se redressa et se dirigea directement vers M’Baa, sans regarder ni ses pieds ni les enfants qui virevoltaient en riant comme des mouches autour d’un cadavre de phacochère. « C’est toi, M’Baa ? » M’Baa fit oui de la tête. « M’Baa le potier ? » M’Baa montra la calebasse qu’il était en train de monter. L’homme sortit alors de la poche de sa chemise une feuille de papier comme en avait le chef du village où il inscrivait les noms des habitants. « Tu feras cent bouchons comme celui qui est dessiné là-dessus ! » Et il posa le papier dans la main de M’Baa. M’Baa dodelina de la tête comme quelqu’un qui s’apprête à refuser. En réalité, il essayait de réfléchir. « Tu seras bien payé, ajouta l’homme. C’est pour la femme du nouveau gouverneur ! » Et il remonta dans sa voiture qui disparut avec son nuage de poussière. Alors M’Baa fit des bouchons, des bouchons et encore des bouchons jusqu’à ce que le chef du village qui savait un peu compter lui dise qu’il y en avait assez. Le temps d’une lune plus tard, la voiture fut de retour. L’homme qui conduisait entassa précieusement les bouchons à l’arrière et repartit. Les mois passèrent comme le vent après l’orage et le cousin de M’Baa revint au village pour présenter son dernier né au chef du village, à son épouse, à ses sœurs et à tout le village. Il raconta, pendant que le feu s’éteignait doucement dans la tiédeur du soir, que le palais du gouverneur avait retenti des cris de l’épouse parce que les bouchons étaient un peu plus grands que ses pots. M’Baa se redressa comme si un serpent l’avait piqué à la fesse. « Ce n’est pas ta faute, dit le cousin, il paraît que c’est le dessin qui n’était pas juste ». « Et alors ? » demanda le chef du village. Le cousin rit. « Ils ont raboté les pots ! » On voit par-là qu’il y a bien longtemps que le monde tourne de guingois.

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Commentaires
L
On va bien raboter les quais des gares... en France on fait d abord on voit ensuite... salut Vieux Bougon
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V
C'est une très belle histoire et elle est si bien racontée ! Seulement, à l'époque et en ces lieux, il n'existait pas de pied-à-coulisse, et encore moins de laser avec un point rouge qui permet de prendre des mesures ultra précises, donc, cette histoire de bouchons peut se comprendre.<br /> <br /> Mais aujourd'hui, que ce soit à la SNCF ou chez RFF, ils possèdent des appareils d'une grande précision, le micron au minimum. Comment de telles erreurs peuvent-elles se produire en 2014 ? A quoi étaient occupés MM. Pépy et Rapaport pendant que leurs ingénieurs faisaient des "boulettes" monumentales ?<br /> <br /> A qui fera-t-on croire que ces erreurs pour 50 ou 80 millions d'euros n'auront aucune incidence sur aucun budget ? Ni sur le porte-monnaie des clients de la SNCF ?<br /> <br /> Il n'y a décidément aucune pudeur chez les dirigeants de ces grandes sociétés ? Aucun n'a offert de démissionner et aucun ministre ou secrétaire d'Etat n'a réclamé de démission. Quels exemples pour tous nos jeunes qui se lancent dans la vie active !
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