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Chroniques d'un vieux bougon
13 août 2014

Jean Alambre

jean_alambre      Je soupçonne le Grand Michel, le maître du théâtre de la Passerelle à Limoges, d’avoir délibérément choisi les sièges les plus inconfortables pour maintenir éveillés les spectateurs. Les murs, passés au noir, n’offrent aucune distraction au regard et la scène elle-même se perd dans l’ombre de son lointain. En parterre, quelques chaises entourent trois ou quatre tables de bistrot agrémentées de verres à pieds et d’une bouteille de cidre. L’ambiance est intimiste et presque ascétique. On ne vient pas ici en frac et souliers vernis mais plutôt en duffle-coat et velours côtelé. Le souvenir des cabarets rive-gauche des années soixante s’impose. La Contrescarpe, l’Écluse, le Bateau Ivre, le Caveau de la Huchette, la Rue Mouffetard. D’ailleurs, installé en mezzanine, l’essentiel des quatre-vingt places disponibles, je suis bien situé pour contempler les crânes dégarnis, les crinières grisonnantes et les coiffures apprêtées aux teintes auburn qui trahissent les seniors qui les ont fréquentés, jadis, au temps de leurs vingt ans.  Mais du fond de la salle surgit une contrebasse. Tandis que Jérémie Astor, son jeune archet, se prépare, Gilles Puyfagès pose son accordéon sur ses genoux et Jean-Marie Lajudie s’empare en majesté de ses baguettes de batteur. Jean Alambre, tout de noir vêtu, descend alors les trois marches du grand escalier et agrippe une guitare. Applaudissements. Le ton trop haut perché par un trac de bon aloi, il précise qu’en poulbot mêlé, il s’en vient de la Butte Montmartre mais qu’il se repliait alors chez sa mère-grand "lemosine" dès les vacances venues. « Belle descente ! » dirait le patron du bistrot du marché aux fleurs. Et il alterne ainsi les puces de Saint-Ouen et la Porte de la Chapelle avec les Monédières au pied des premiers contreforts de l’Auvergne. Jusqu’au jour où il choisit "l’espace, la liberté, le doux chant du ruisseau, le bruissement des feuilles que le vent de juillet caresse avant que celui de l’automne ne vienne les emporter à la rencontre des souvenirs". « Je suis un émigré de l’intérieur, dit-il.  Mais depuis notre ancêtre Lucy, ne sommes-nous pas tous des émigrés ? »Et pour bien marquer son ancrage dans le terroir, il entonne une première chanson dans le parler d’oc des lisières septentrionales de l’Occitanie des trabalhadors. Sa belle voix chaude et ses mélodies auraient certainement ravi les gentes dames en leurs châteaux autant que les curieux baguenaudant sur les places de village ou les hôtes des "contóu del fioc" des fermes reculées. Les mânes de Bertrand de Born avec ses sirventès et Bernard de Ventadour et son alouette ivre de lumière planent sur l’assistance. Et P’tit Jean, l’innocent qui vivait du souffle du vent, nous parle du temps des trois temps, lorsque, dans la langueur des saisons, les pendules faisaient la moue. Il traverse le gué au risque de croiser les sinistres crocodiles, les loups qui pullulent aux détours des forêts ou la dévoreuse d’illusions et son lit de bruyères. Il nous entraîne à cloche-pied de greniers en sous-bois, sa reine des chanterelles dans les jambes, à la recherche des derniers bolets avant de célébrer, entre amanite et houx,  les rites de décembre. Chanteur de bourdaines et semeur de riens, le renard bleu suit tranquillement son vent en ne se souciant de rien et moins encore des sangsues de sous-préfectures et des lupus bigleux. S’il parle poésie comme dans "La bannière et la croix ", il ne nous conte pas "Les chemins d’octobre" et "Les souffleurs d’étoiles", entre autres livres d’une belle liste qui complète heureusement les textes de ses chansons. Il dirait qu’il n’en est point lieu ! Arrive l’heure, pourtant, où le Grand Michel fait signe qu’il faut poser. Saluts, applaudissements, rappels. Tradition. Tradition de chaleur et d’amitié simple. Sans prétention autre que de donner un peu plaisir et de lire un trait de joie dans les yeux. (Chronique du vieux bougon du 30 décembre 2012)

On peut retrouver Jean Alambre sur son site internet

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