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Chroniques d'un vieux bougon
23 septembre 2014

Salsifis inspiré

salsifis_inspire      L’habitude était prise depuis plusieurs mois de le voir poser son étal sur la place de l’église chaque vendredi matin. Triste et maigre comme un Normand privé de son camembert, il regardait le va-et-vient des ménagères de son long regard bleu avec des allures de salsifis inspiré. Devant lui, dans des cageots de fortune, il exposait à leur convoitise les légumes bios qu’il cultivait dans un champ perdu dans la vallée. Leur aspect n’était guère plus engageant que le sien mais la femme de ménage du notaire affirmait qu’ils étaient goûtus. L’épouse du pharmacien s’enhardit à lui acheter des navets. Celle du médecin s’enquit de poireaux. Sa renommée se fit ainsi peu à peu jusqu’au printemps suivant où l’on vint même de la ville pour s’approvisionner en radis, fraises et petits pois. L’été arriva et avec lui la fille aînée du boucher qui rejoignait les pénates familiales pour prendre, comme chaque année, le bon air de la campagne. Las, elle tomba malade après avoir dégusté une belle assiette de tomates, concombres, persils et ciboulette. On accusa la sauce de fabrication maison. On fit des recherches en laboratoire. En vain. Les soupçons s’orientèrent naturellement vers les cucurbitacées fournies par notre maraîcher. On découvrit des traces de pesticides et d’antibiotiques. Les regards se tournèrent vers leur producteur. Il eut beau se débattre comme un beau diable, rien n’y fit. La presse locale s’empara du sujet avec d’autant plus de gourmandise que les mois d’été sont souvent exsangues de friandises pouvant faire la une. La rumeur gagna rapidement les bourgs voisins, le chef-lieu de canton et le siège même du Conseil Général. Le syndicat des producteurs de légumes bios ne pouvait laisser ternir d’aussi vilaine manière son image d’intégrité. Il déposa une plainte en bonne et due forme auprès des tribunaux compétents. Non seulement la faillite rattrapa rapidement notre homme qui se retrouva de ce fait sans ressources, mais il dut répondre des accusations devant un juge. C’est ainsi que l’on apprit qu’il avait innocemment amendé sa terre d’un fumier provenant d’un vaste élevage semi-industriel de vaches laitières appartenant à un consortium germano-italien sis dans une région limitrophe. « Ils ont été fort prévenants, expliqua-t-il à la barre. Ils l’ont livré sans frais et même étendu avec leur grosse machine qui passait mal dans les chemins de terre menant à mon champ. » Le scandale alerta les médias nationaux et internationaux. On vit même une télévision privée en faire ses choux gras. Pendant ce temps, la fille du boucher regagna sa ville du nord de la France proprement rétablie en compagnie de l’épouse de notre infortuné jardinier. Désormais seul et abandonné de tous, sa réputation aussi ruinée que son maigre compte en banque, il choisit la plus haute branche du chêne qui jetait son ombre bienfaisante sur son courtil pour en finir avec les soucis. On s’émut dans les chaumières. On s’indigna sur les places du marché. On défila même dans les rues. La ferme incriminée promit enfin, la main sur le cœur, de limiter l’usage des produits prohibés mais il était trop tard. On voit par-là que si la triste mine des légumes bios n’assure en rien de leur qualité exemplaire de légumes bios selon les codes établis, la rumeur peut aussi abattre les plus courageux de leurs producteurs. Mais le monde, imperturbable, n’en poursuit pas moins joyeusement sa course effrénée vers un avenir toujours plus radieux.

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Commentaires
M
Y a-t-il du vrai bio ? Je mets sur mon compost les épluchures des légumes que j'achète et mon jardin subit ce qui sort des pots d'échappement des voitures et des tracteurs. Les cultures bio sont arrosées par les pluies acides.
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