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Chroniques d'un vieux bougon
27 mai 2016

C'est mieux avant.

cavamieux

       On dit que les chats vivent sept vies et qu’ils ont le droit de vivre la dernière à leur guise. Aucune preuve scientifique n’a jamais été apportée. Mon amie Marthe Dumas, du mas du Goth, pourrait être celle que les amoureux des chats attendent. Elle est bien la seule en effet, outre sa complice ma petite voisine Anaïs et mon chat César, à pouvoir, avec son air matois, me faire agir à sa guise. C’est dans cet état d’esprit que je pénètre en sa compagnie dans la salle du réfectoire de la maison de retraite d’un bourg proche. Vous leur parlerez de vos livres. Cela les distraira ! Le personnel a repoussé les tables sur les côtés et installé des chaises en demi-cercle. Un aréopage d’une trentaine de pensionnaires m’ausculte de la tête aux pieds tandis que je prends place au milieu d’eux. Je me présente. Plus fort, réclame un grand rougeau qui pétrit sa canne comme si c’était un instrument de torture. Quel livre avez-vous lu dernièrement ? Chacun se regarde avec étonnement. J’aperçois sur un coin de table une pile de revues comme on en trouve dans les salles d’attente des cabinets de médecins et de dentistes. Quel magazine ? Quel journal ? Autrefois je lisais l’Écho Populaire, commence d’une petite voix pointue une doyenne aux cheveux blancs recroquevillée sur sa chaise. Et vous lisiez quoi ? Ben les nouvelles ! Vous lisiez la page des sports, la page des décès… Ben non ! Celle des bals ! Les décès, c’est après. Ah ça, on allait au bal pour sûr, s’exclame l’assistance en chœur ! Et la discussion s’engage avec chaleur sur les mérites d’André Verchuren, la belle humeur de Raymond Boisserie, l’entrain d’Aimable. Autrefois, on ne se battait pas dans les rues comme aujourd’hui, attaque un digne monsieur raide comme un fonctionnaire des postes derrière son guichet. On allait danser et puis c’est tout. Quand je suis allée chez ma fille, on a traversé le bourg. Eh bien, je n’ai vu personne se battre. Tu ne les as pas vus à la télé attaquer la police et brûler les voitures ? Moi, je dis qu’il y a trop de voitures. C’est pour ça qu’il y a tant de morts sur les routes. Oui, mais la voiture, c’est tout de même plus confortable que la carriole ! Tu te souviens quand Ernest est allé au fossé en rentrant du mariage d’Yvette ? Le cheval avait bu un coup de trop, rigole le rougeau. Gros éclats de rires. Pour revenir aux livres… Vous riez mais ma petite fille sur son scooter, elle a été accrochée par une voiture. Elle a eu du mal ? Pas trop, en fait. À l’hôpital, ils lui ont dit qu’elle pouvait rentrer chez elle ; mais c’était samedi. De mon temps, on n’allait pas à l’hôpital pour un oui ou pour un non. C’était trop loin de toute façon. Le temps que tu arrives, t’étais mort. Moi, j’ai toujours accouché chez moi mais ma fille a voulu aller à l’hôpital. Eh bien, ils ont fait toute une histoire. Et que je t’inspecte par devant, et que je t’inspecte par derrière. C’est comme cela, maintenant. Ils t’inspectent de tous les côtés et le temps de tout cela, tu as toujours mal. À propos de livres… Mon fils qui travaille à l’hôpital vous dirait que ce n’est pas toujours aussi simple qu’un accouchement. Vingt voix féminines se récrient. Quand j’ai fait mon fibrome… Il y fait quoi, ton fils, à l’hôpital ? Dans les jardins, je crois ; ils l’ont mis à la retraite à Noël. Cela fera du travail pour un jeune. Peuh ! Les jeunes, ils ne veulent plus se baisser pour arracher une mauvaise herbe. De mon temps, on prenait le premier travail qui se présentait et quand on en avait trouvé un mieux, on changeait. Oui, mais on était intelligents, à l’époque. Aujourd’hui, on dirait que leurs grands diplômes leur tombent dans les pieds. Il ne faut pas exagérer. Le garçon de mon neveu travaille dans une ferme et il a l’air content. En vrai, conclut une imposante mamie engoncée dans son fauteuil, moi je trouve que ça va mieux avant. Une aide-soignante s’approche. Je renonce à discuter de livres et de lecture et je prends congé. Et je songe sur le trajet du retour que, tout compte fait, c’était presque comme une visite au musée et que ces vieux bambins me laissent eux aussi bien des choses à penser. 

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Commentaires
G
En résumé, j'écrirai que les vieillards ont chacun leur histoire et qu'il est difficile de les arrêter quand ils ont quelqu'un à qui la conter.
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A
"Pour revenir aux livres"... il faudrait y avoir déjà goûté ! Une savoureuse approche d'un monde où la chose écrite se limitait aux pages du journal et à celles du missel.
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L
C'est terrible...Ces maisons de retraite ce sont comme les soins palliatifs...
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