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Chroniques d'un vieux bougon
23 septembre 2016

La misère devrait être insupportable.

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       Alors que je lui porte sa ration hebdomadaire de magazines ainsi que le dernier ouvrage d’Axel Khan "Être humain, pleinement" dont je lui vantais la profondeur de réflexion et la simplicité de l’expression, mon amie Marthe Dumas me reçoit en grand émoi. On vient de lui annoncer que sa conscrite Marguerite, du village du Grand-Hort, a été admise d’urgence au grand Hôpital Universitaire Régional dans un état d’extrême faiblesse. On apprendra le lendemain de la bouche même de la secrétaire de mairie, source toujours bien informée en matière de ragots et d’indiscrétions, qu’elle ne se nourrissait plus très bien, qu’elle ne payait plus son électricité qui avait été coupée et qu’elle n’avait plus de bois à mettre dans sa cheminée depuis l’hiver dernier. Mais comment peut-on vivre dans un tel dénuement sans que personne ne fasse rien ? En réalité, personne n’en savait rien. Ses seuls voisins sont un couple sans enfants qui travaillent à la ville voisine. Partis tôt le matin, rentrés tard le soir, ils n’avaient pratiquement aucun contact avec elle. C’est tout à fait par hasard que la femme s’est tout à coup aperçue que la "Mamie" ne mettait plus de linge à sécher sur le fil. Sous le prétexte de lui emprunter un plat, elle est allée la voir, l’a trouva couchée sur son lit pouvant à peine articuler quelques mots et donna l’alerte. Mais comment est-ce possible ? Seule, sans enfants, sans amis proches, sans visite du moindre service social municipal ou départemental, elle s’est lentement enfoncée dans la solitude. Elle s’enfonçait vers la mort. Combien, dans les villes comme dans nos campagnes, subissent le même sort ? Tombés dans la précarité, la pauvreté, l’anonymat, l’indifférence, ils illustrent de plus en plus souvent les places et les trottoirs. Des hommes depuis toujours mais aussi des femmes et des enfants. L’école est obligatoire jusqu’à l'âge de seize ans mais qui s’offusque encore de voir de jeunes enfants faire la manche et s’endormir à la nuit tombée sous un carton ou dans une porte cochère abrutis de somnifères sinon d’alcool ? Quand ils ne sont pas embrigadés comme pickpockets par quelque réseau mafieux ! Migrants à bout de souffle, familles désagrégées, vies brisées, espoirs décomposés, ils hantent tels des ombres nos cités et nos rues. Et nous ne les voyons plus tant ils se fondent de plus en plus dans le décor. Mauvaise conscience assoupie sous les mille tracas quotidiens, nous n’écoutons même plus les discours bravaches qui fleurissent régulièrement dans les médias en prétendant éradiquer cette misère qui se répand comme un feu qui couve sous la cendre. Il n’en ressort souvent, d’ailleurs, que de grandes annonces qui se diluent rapidement dans les méandres administratives, d’ambitieux plans quinquennaux qui permettent de repousser les décisions aux lendemains qui chantent et de flamboyantes déclarations de lutte contre les riches quand c’est le dénuement qu’il faut combattre. Les associations font ce qu’elles peuvent avec des moyens de plus en plus étroits. Chaque jour, chaque nuit, des bénévoles travaillent avec abnégation pour apporter un peu de nourriture, de soins et de chaleur humaine. Mais chaque année, les files d’attente s’allongent lors des distributions de repas ou devant des foyers d’accueil bondés et toujours précaires. Comment pouvons-nous encore supporter cette situation ? Comment pouvons-nous encore tolérer cette faillite ? Comment pouvons-nous encore accepter cet échec ? Nous qui nous targuons d’égalité et de fraternité ! Pour être humain pleinement et non vivre comme un animal, il faut non seulement manger à sa faim et au chaud sous un toit, ce qui représente le minimum auquel chacun a droit,   mais aussi pouvoir croiser un regard amical, y lire une lueur d’empathie sinon de compassion, y puiser une raison d’espérer. Sinon, comme pour Marguerite, c’est la lente descente vers la mort qui guette toutes celles et tous ceux-là dont nous ne distinguons même plus la silhouette au détour des rues. Et c’est toute la société qui est entraînée dans leur sillage. Ce qui devrait nous laisse bien des choses à penser.  

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Commentaires
M
Quand on voit que beaucoup manquent du necéssaire alors qu'il y a un gaspillage énorme au niveau de ceux qui nous dirigent, il y a de quoi être révoltés.
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L
Cher Vieux Bougon, nous rappeler que nous devons être tous attentifs les uns envers les autres et un devoir citoyen. Ceci est car le néo-capitalisme a instrumentalisé la "dette", cette dette ontologique à l'être humain, cette dette qui nous permet d'échanger avec autrui (Autrui ?). Or, aujourd'hui, les transactions sont numérisées, ce qui a pour conséquence la disparition de la personne, voire même de l'échange. Ce qui conduit à l'invisibilité de l'être humain, ce que vous constatez dans votre édito. La solution ? Exigeons des "politiques", car cela est inscrit dans le principe même du système démocratique, de permettre d'offrir à chacun sa part de "dette", c'est-à-dire sa part de responsabilité vis-à-vis des uns et des autres.
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G
Oui nous allons tous.. nous les vieux vers cette indifférence.. on ne nous voit plus nous gênons presque d'être encore là !
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L
Ton article me rend encore plus insupportables ces simagrées des politiques qui se battent comme des chiffonniers pour savoir si on est gaulois...
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