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Chroniques d'un vieux bougon
14 octobre 2016

Mais qu'est devenu le compagnon de Lucy ?

lucy

     Il faut frapper avant d’entrer, Anaïs ! Mais c’est chez Papet ! Sous-entendu : c’est chez moi ! La logique des enfants est implacable. La Nounou de ma petite voisine est malade, sa Maman est partie à Toulouse donner ses cours et son Papa a une vidéo-conférence incontournable avec une équipe de chercheurs en céramique comme lui. C’est donc tout naturellement Papet qui a la charge pour la journée d’occuper la belle et sa poupée. Elle s’emploie avec mille discours à la faire boire, à changer sa couche et à la promener sur la terrasse lorsque la camionnette de Joseph pénètre dans mon courtil. Marthe Dumas en descend avec mille contorsions. Je m’ennuyais, alors me voici ! Aussi coquettes l’une que l’autre en dépit des 88 ans de la seconde, la grâce dans chaque mouvement, l’œil pétillant et, surtout, la langue tout aussi bien pendue, mes deux amies vont m’offrir un festival à faire pâlir les grandes étoiles du Français. Marthe est venue avec des prunes de son verger et des œufs frais de son poulailler en vue de confectionner une tarte. Anaïs est évidemment très enthousiaste à l’idée de pétrir la pâte. La farine vole, les œufs éclatent, Anaïs rit. Marthe se récrie, rabroue, bougonne, en appelle à ses ancêtres. J’ose à peine jeter un œil vers la cuisine transformée en capharnaüm. On va voir la chèvre, m’avertit Anaïs avant de claquer la porte derrière elles. César profite de l’accalmie pour sortir de sa cachette et venir se frotter contre moi en une longue complainte désespérée. Où trouverions-nous notre place au milieu de tant de complicité féminine ? Alexandre Vialatte écrivait que la femme remonte à la plus haute antiquité. Il avait tort. Depuis que Yves Coppens a découvert le squelette de Lucy, on sait qu’elle remonte à beaucoup plus loin encore sinon même aussi loin que son homme. L’expérience a d’ailleurs démontré que, sans elle, celui-ci vivrait comme un veuf et n’aurait donc pu créer une parentèle et moins encore une lignée et une humanité tout entière. Ces lignées, que les hommes croient avoir accaparées pour satisfaire leur soif de reconnaissance, sont en réalité l’affaire des femmes, les véritables chefs de famille. Le mâle peut bien trôner dans son grand fauteuil de rotin et afficher des airs bougons pour faire croire qu’il pense. Ce sont les grand-mères, les mères, les filles qui dirigent les maisonnées. Avec une seule obsession : maintenir la vie. Certes, si un danger survient, ce sera à l’homme de l’éloigner. C’est toujours au père de chasser les loups. Parce qu’il est fort et que sa grosse voix grave impressionne les jeunes enfants. Mais les femmes ne sont pas dupes. Et elles peuvent sortir leurs griffes, elles-aussi. Surtout si une intruse tente de s’immiscer dans le cocon protecteur qu’elles ont laborieusement tissé autour de leur monde. Elles seront ainsi capables de toutes les perfidies et de tous les mensonges pour préserver leur cadet qui restera leur bébé jusqu’à la fin de ses jours. Elles éloignaient de son berceau les mouches et les araignées. Elles veillaient la nuit sur son sommeil. Elles contrôlaient ses devoirs au retour de l’école. Elles surveillaient ses notes. Rencontraient ses professeurs. Puis, plus tard, ses employeurs. En un mot, elles faisaient une "situation" à ce jeune homme lymphatique qui se serait contenté, comme son père et son grand-père avant lui, de rêver à la course des nuages. Aragon disait que la femme est l’avenir de l’homme. Elle est toute son Histoire. Ce qui explique pourquoi nul n’a encore jamais retrouvé le squelette du compagnon de Lucy. Ce qui devrait laisser aux hommes bien des choses à penser. (Lire le Crépuscule du Tourment de Léonora Miano aux éditions Grasset)

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Commentaires
L
Anaîs, la langue bien pendue de Marthe...La farine qui vole, les œufs qui éclatent...César qui sort de sa cachette, en fait tu décris le bonheur !
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