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Chroniques d'un vieux bougon
21 octobre 2016

Une dette reste une dette même s'il y a dette et dette.

dette

      Alors que je vais faire l’emplette de mon quotidien départemental au bureau de tabac-journaux du bourg, je suis accueilli par une volée de cris dignes d’une bordée de mouettes à l’attaque d’un sardinier traversant le port de Marseille. Devant un auditoire hilare, la tenancière, les yeux exorbités, les joues vermillon et le verbe siffleur, tente d’expliquer à l’ancien garde-champêtre le "pourquoi du comment" de l’écriteau qu’elle a accroché au-dessus de sa caisse enregistreuse. Calligraphié comme au temps des plumes sergent-major, le texte est pourtant explicite : la maison ne fait pas crédit. Mais notre pandore de village à la retraite ne semble pas comprendre. Tu me connais. Je te paierai samedi comme d’habitude, promis juré. Mon banquier m’a dit non à mon découvert, réplique la buraliste. Je fais pareil ! Le journal, c’est un euro dix. Si tu n’as pas les un euro dix, tu n’as pas le journal ! Mais rien n’y fait. Comme si l’obstination de l’un alimentait celle de l’autre. Tu n’es pas d’accord avec moi, l’Écrivain ? Ses livres, il faut d’abord les payer avant de les lire ! Sinon, les gens ne paieraient jamais, persifle la cerbère derrière son comptoir. Ignorant l’insolence, j’entreprends de calmer le jeu. À force de jouer avec le crédit, l’État a accumulé une dette abyssale, la Sécurité sociale, les caisses de retraites, l’Unedic… Et ce n’est ni toi ni nous qui la rembourseront. Et nos enfants et petits-enfants la traîneront toute leur vie. Devant le gouffre qui s’ouvre devant lui, notre récalcitrant renonce enfin et part en bougonnant. L’échotier, qui vient pour vérifier si son article avec photo a bien été publié comme convenu, entre à son tour, des points d’interrogation plein les yeux. Dûment informé de la controverse, il se fait doctoral. Il n’y a pas que la dette financière de l’État et des Institutionnels. Il y a la dette des parents envers leurs enfants et la dette des enfants envers leurs parents. Notre interlocutrice manque de s’étrangler. Non seulement, elle estime ne rien devoir à ses enfants mais elle est prête à faire le compte de tout ce qu’elle leur a donné depuis leur première couche-culotte jusqu’à leur argent de poche du samedi soir, la caution pour l’appartement, l’achat de la machine à laver et le pécule pour finir le mois. L’argent, toujours l’argent, s’exclame le mari de la pharmacienne en se joignant à nous ! Il n’y a pas que l’argent ! C’est normal que tu les aides, tes rejetons. On appelle cela une dette morale. Ils ont la même envers toi et quand tu seras vieille… Il s’engage hélas sur un sentier d’autant plus périlleux qu’en l’occurrence, parents et enfants sont notoirement fâchés depuis la Noël pour une énième et ridicule broutille. Mais, curieusement, sa saillie ne déclenche aucune réplique. Bouche ouverte à la recherche du moindre filet d’air et visage virant au bleu de Prusse, notre aimable commerçante vacille dangereusement sur ses jambes. Le facteur profite de ce répit pour faire irruption en brandissant comme un étendard une lettre manifestement d’origine administrative. Les impôts, coasse-t-il comiquement. Les hirondelles sont parties, la chasse est ouverte et les jours raccourcissent, c’est l’heure des impôts !  Encore une dette, me glisse le potard à mi-voix. Nous avons tous une dette envers la collectivité, pour les routes qu’elle goudronne, les salles des fêtes qu’elle repeint, les ronds-points qu’elle fleurit… Ce n’est guère le bon moment pour déployer vos théories, lui dis-je en m’éclipsant sur la pointe des pieds. Elles laissent malgré tout bien des choses à penser.

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Commentaires
L
Ah la dette ! Et si nous faisions un "jubilé nouveau" pour l'effacer ? Toujours une sacrée plume Vieux Bougon (d'ailleurs je l'ai relayée sur mon blog :-) ); bon week-end mais sans dette(s) !
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V
Très belle peinture de nos microcosmes. Ils sont les uns et les autres plus attachants que le spectacle qui s'offre à nous en notre capitale républicaine. Celle-ci ne nous propose plus rien de chaleureux... Et nous en avons pour plusieurs mois.
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L
Tu me laisses sans voix...Que de conflits dans le monde...
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