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Chroniques d'un vieux bougon
25 novembre 2016

Juste quelques centimètres cubes en moins.

cerveau

        La construction de la maison de mon futur voisin de l’autre côté de la route avance à grand pas. Il prévoit même d’emménager cet hiver tant son épouse est impatiente de vivre les bienfaits de la campagne. Pour l’heure, c’est un élagueur délégué par les services départementaux des Bois et Forêts qui inspecte les derniers chênes et châtaigniers qui illustrent son courtil. Ils mêlent en effet leurs branches noueuses en un complexe enchevêtrement qu’il faut, selon le pieux principe de précaution, sécuriser comme il se doit. En bon commercial, leur propriétaire émet bien entendu l’idée d’y fabriquer une ou deux cabanes pour touristes. Il aura fallu 2,800 millions ans à l’homme pour descendre de son acacia parasol et coloniser la planète. Quelques décennies suffiront pour l’y faire remonter. Ce retour aux sources rejoint les constatations de l’anthropologue John Hawks quant à la taille du cerveau humain. Un australopithèque n’avait pas besoin d’un crâne supérieur à 450 cm cubes pour cueillir les fruits à portée de sa main. Mais pour survivre dans la savane, ses cousins Habilis durent déployer des trésors d'ingéniosité. Ils y parvinrent si bien qu’ils se multiplièrent allègrement, maîtrisèrent le feu, fabriquèrent des outils pour dépecer leurs proies et confectionner leurs vêtements. Ils prirent ainsi chaque jour un peu plus conscience de leur identité et du monde qui les entourait au point de s’inventer des dieux dans le ciel, de mesurer le temps qui passe et prévoir celui à venir, de pratiquer des rites funéraires pour honorer leurs morts et de calligraphier avec un grand réalisme leurs listes de courses sur les parois de leurs grottes. Devenus ainsi sapiens, ils annoncèrent fièrement avec l’homme de Cro-Magnon un volume crânien de 1600 cm cubes. Or, selon les paléo-météorologues, les températures étaient alors au moins inférieures de 4° centigrades à celles d’aujourd’hui et les glaces recouvraient une grande partie de nos régions. Aussi, lorsque il y a onze mille ans, le réchauffement climatique les frappa de plein fouet, l’homme devenu moderne était-il mûr pour concevoir l’agriculture et l’élevage. Sa vie s’en trouva grandement adoucie. Mais ayant moins besoin de recourir à son intelligence pour subsister et se reproduire, il s’embourgeoisa. Ses idées se faisant de moins en moins nombreuses, son cerveau se mit tout naturellement à rétrécir. Et si cette courbe descendante se poursuit au rythme actuel, il devrait retrouver, d’ici vingt mille ans, la taille de celui d’Homo Erectus. Mais le débat fait rage entre les récipiendaires des prix Nobels qui affirment que les capacités cognitives de l’homme contemporain ne diminuent en rien et les anthropologues qui avancent leurs mesures scientifiques irréfutables. En réalité, nous savons aujourd’hui, grâce à Giulia Enders et à son Charme discret de l’intestin, que l’homme est d’abord un ventre sur pattes et que le cerveau n’est jamais qu’un outil mis en place par l’évolution pour seconder le système digestif. En effet, en posant le pied dans la savane, Homo a largement diversifié sa nourriture. Il se contentait de feuilles, de jeunes pousses et de fruits. L’apport de racines et de viandes sollicitera tellement son palais, ses dents, son estomac, son foie, son pancréas, sa vésicule biliaire, son intestin grêle et son colon qu’il deviendra nécessaire de les renforcer. Le système nerveux, encore fort modeste mais opportunément installé dans le crâne, se verra alors attribuer la tâche de soulager le ventre des besognes subalternes. Il remplira certes pleinement son office jusqu’à enfanter la philosophie, les arts et la littérature. Il n’en apparut pas moins avec le temps, que ces activités de divertissement n’exigeaient pas autant d’espace qu’à l’époque du paléolithique supérieur. Pour éviter que les idées ne s’entrechoquent et ne se heurtent trop brutalement au risque d’engendrer des complications telles que la neurasthénie, la folie des grandeurs ou les névroses obsessionnelles compulsives, la nature qui, comme chacun sait, a horreur du vide, en réduit donc peu à peu l’emballage. Ce qui devrait laisser bien des choses à penser à ceux qui le négligent.

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Commentaires
C
Quelle érudition et quelles vastes connaissances sur nos lointains ancêtres. Je vous soupçonne d'être au stade documentation pour un prochain roman...
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L
quel excellent billet une fois encore ! Et sans aucun doute les neurones du Bougon fonctionnent à plein !
Répondre
L
Cher Vieux Bougon, vu le résultat des votes actuels, la régression à débuté depuis un moment déjà ! Et vu que Big Mother s'occupe de nous, le gâtisme est la prochaine étape 😞
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L
Si j'ai bien compris, ça ne va pas s'arranger...
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