Compétition.
Énième battue au sanglier dans les bois en contrebas de mon courtil. Dès la levée du jour, retentissent les aboiements des chiens ivres d’odeurs nouvelles et de liberté, les appels des chasseurs et des cornes de brume, les coups de fusil et les exclamations rageuses ou victorieuses. (Chronique du 06 décembre 2013). César demeure sagement enroulé dans mon fauteuil. Tout juste consent-il à dresser une oreille lorsque le tumulte se rapproche d’un peu trop près. C’est la perpétuelle compétition entre les paysans qui veulent sauvegarder leurs récoltes à venir et les animaux sauvages qui ne cherchent qu’à survivre. C’est la perpétuelle compétition entre l’homme et la nature. Lorsqu’il n’était encore qu’un grand singe comme les chimpanzés et les bonobos, l’homme qui n’était pas encore l’Homme s’employait déjà à modifier son environnement. Grand amateur de fruits dans la vaste canopée qui recouvrait alors une grande partie de la planète, il éparpillait un peu partout les graines qu’il ne digérait pas, modifiant ainsi la biodiversité de son territoire par la dissémination de ses arbres préférés. Un jour, las de la concurrence avec ses cousins qui lui disputaient âprement logement et nourriture, il posa pied à terre et s’installa dans la savane. Il y deviendra un redoutable carnassier habile à traquer les proies les plus dodues et les plus appétissantes. Attentif à son bien-être, il domestiquera bientôt le feu pour s’y réchauffer ; inquiet pour sa sécurité, il gardera le foyer allumé pour tenir éloignés ses propres prédateurs toujours prêts à le croquer à son tour et soucieux de bonne digestion, il en profitera pour faire cuire ses trophées au cours de fantastiques "barbecues" réunissant toute la tribu. Il savait déjà choisir les condiments les plus goûtus pour flatter sa gourmandise naturelle. Il inventera dès lors des recettes culinaires élaborées à base de côtes d’agneau de pré salé, d’escalopes de veau à la crème et de bœuf bourguignon. Il deviendra un grand cuisinier. Mais ce sera au péril des mammouths, des couaggas, des aurochs et autres dodos aujourd’hui effacés de la surface de la Terre. Dormant son saoul et en toute quiétude, mangeant bon et à sa faim et gardant surtout au cœur la nostalgie des jours paradisiaques où il paressait dans les branches de sassafras, il s’abandonnera hélas à l’hédonisme et rêvera de farniente. Et comme il est moins fatiguant d’élever du bétail que de le chasser, il deviendra éleveur. Il taillera même dans la forêt pour agrandir ses clos et ses courtils et remplir plus encore ses greniers et ses garde-mangers. Aujourd’hui, par le bétonnage toujours plus étendu de ses mégapoles, le bitumage de ses innombrables autoroutes, ses lignes de chemin de fer pour trains à grande vitesse et ses vastes aéroports internationaux, l’homme contemporain poursuit avec obstination la dégradation de son environnement au détriment des prairies, des forêts et des paysages et, globalement, de toute vie sauvage qui persisterait à exister. En un mot, depuis qu’il est descendu de son arbre, Homo est non seulement en conflit permanent avec ses congénères dont il revendique haut et fort l’espace et les ressources mais aussi avec la nature qu’il considère comme sa propriété exclusive. Toujours plus nombreux, toujours plus entreprenant et toujours plus efficace, il se croit désormais le grand maître du monde. Il oublie seulement qu’avant lui ont aussi disparu dans les oubliettes de l’Histoire de l’humanité ses propres parentèles que furent Rudolfensis, Ergaster, Habilis, Érectus, Neanderthaliensis et Heildenbergensis. Ce qui devrait tout de même lui laisser bien des choses à penser à propos de son avenir.
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