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Chroniques d'un vieux bougon
7 février 2017

La civilisation de la crêpe suzette.

roues1

      Puisque la pluie et le vent s’acharnent sur la vallée, je renonce à la corvée de taille de la palisse qui sépare mon courtil du chemin de terre qui le longe. Noisetiers, baliveaux de frênes et repousses de châtaigniers s’y déploient généreusement. J’attendrai donc de meilleures conditions météorologiques pour y remettre bon ordre. Après les avoir coupés, émondés et sciés en rondins, il ne lui restera plus qu’à les transporter dans la remise à bois. Et c’est là que la brouette interviendra. Une roue, un coffre et deux mancherons, rien de plus sommaire, certes, pour un outil communément utilisé. L’Histoire montre cependant que l’affaire ne fut pas aussi simple.

Il fallut en effet plusieurs millions d’années à l’Homme pour que germe dans son esprit le principe même de la roue. Il était devenu sapiens-sapiens depuis quelque temps déjà et avait joliment décoré les parois de ses grottes de Chauvet, de Lascaux ou d’Altamira. Il avait appris la culture de la lentille et de l’épeautre et domestiqué la chèvre et le chou, l’âne bâté et le bœuf bourguignon.  Mais il continuait sottement à porter ses colis sur son dos. Il fallut attendre jusqu’à il y a 5500 ans environ pour qu’en la bonne ville sumérienne d’Uruk jaillisse l’incroyable étincelle du génie humain.

Profitant de son jour de repos, un livreur de briques s’en alla visiter son beau-frère, potier de son état. Celui-ci avait étalé sa glaise sur son établi et s’efforçait de l’arrondir pour en faire une amphore. À la vue de la forme ronde ainsi obtenue, une idée lumineuse traversa alors l’esprit de notre manouvrier. On savait certes déplacer des pierres de belle taille en les posant sur des troncs d’arbres. Mais la tâche était toujours longue et pénible et exigeait de nombreux esclaves. Si l’on remplaçait ces troncs, lourds et encombrants, par des ronds moins épais, elle deviendrait moins malaisée.

De retour chez lui, il s’arma d’une scie et d’un maillet et entreprit de fabriquer ce que l’on appelle aujourd’hui une roue. Elle roulait certes encore gauchement mais elle roulait. Le lendemain, il ajouta deux mancherons joints au centre de son engin mais l’expérience lui montra que ce n’était pas suffisant. À l’issue une nouvelle journée de profonde réflexion, il comprit qu’en reliant deux de ces roues par un essieu, il atteindrait une plus grande efficacité. Il consacra le quatrième jour à mettre son plan à exécution. Le cinquième jour, il compléta son ouvrage de deux brancards, de quelques planches et de ridelles. Au matin du sixième jour, le chartil était né. Et, avec lui, la civilisation de la roue.

Celle-ci devait en effet révolutionner les moyens de transport. Grâce à elle, Jules César put descendre la Via Triumphalis debout dans son char de vainqueur des Gaules. Louis XVI s’enfuir jusqu’à Varennes avec épouse et enfants entassés dans une diligence. Les émigrants européens se lancer à la conquête du "far West" en longues colonnes de chariots bâchés. La maison Citroën commercialiser sa fameuse Deudeuche qui allait bouleverser les déplacements paysans dans les terroirs reculés de l’hexagone. Et Fausto Coppi lui-même gagner le Tour de France à l’été 1949.

Le modèle de la roue donnera par ailleurs sa forme au camembert de Normandie et au chevrotin de Savoie, à la pizza napolitaine et, surtout, à la fameuse crêpe Suzette indispensable à toute célébration digne de ce nom de la chandeleur. On voit par-là combien l’invention de la roue fut au moins aussi déterminante pour l’évolution de l’humanité que celle de l’écriture cunéiforme, du manuscrit relié in-quarto, du tract politique et peut-être même de la liseuse pour "ebooks" des intellectuels connectés. Ce qui laisse bien des choses à penser. (Lire Le Chartil aux Editions de La Veytizou)

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Commentaires
A
Cela m'a rappelé Prévert :<br /> <br /> "La brouette ou les grandes inventions"<br /> <br /> <br /> <br /> Le paon fait la roue<br /> <br /> le hasard fait le reste<br /> <br /> Dieu s'assoit dedans<br /> <br /> et l'homme le pousse.
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L
On tourne en rond dans cette histoire. Manquerait plus que la Terre s'y mette ! Salut Vieux Bougon 🙋
Répondre
L
Et grâce à cette invention, en 1969 j'achetais ma première bagnole d'occas une deuch !
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