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Chroniques d'un vieux bougon
1 décembre 2017

7 584 857 698.

surpopulation

 

       Un miaulement intempestif déchire l’ambiance sereine de cette fin d’après-midi de novembre. Les chats, c’est bien connu, aiment à se trouver toujours du mauvais côté de la porte. Je me lève avec un soupir. Mais ce n’est pas César qui réclame. Avant même que j’aie pu esquisser le moindre geste, une maîtresse chatte et trois chatons au teint bien frais se glissent entre mes jambes et s’imposent sans façon. Comme s’ils étaient déjà des habitués ! César grogne un peu, renifle les importuns et se détourne. L’idée que des liens très intimes l’unissent à cette petite famille s’impose à moi. Aurai-je désormais le cœur à la chasser ? En attendant une décision, force m’est de transformer ma maison en foyer d’accueil pour greffiers sans abri. Et si les humains proliféraient comme toi, dis-je à César ? Il me jette un regard méprisant et se lance à grands coups de langue dans une énième toilette. En réalité, il a bien raison de m’ignorer, les humains prolifèrent effectivement comme lui. Grâce aux recherches des paléoanthropologues, on sait aujourd’hui qu’à l’instar de leurs cousins chimpanzés, nos ancêtres gambadaient joyeusement dans les futaies équatoriales se nourrissant de fruits et de légumes probablement bios. Jusqu’au jour où, à l’issue peut-être d’une longue période de sécheresse due à quelque réchauffement climatique, la faim les obligea à descendre dans la savane. Ils se lancèrent dès lors dans l’exploration du monde. Or, nous rapporte la Bible, deux d’entre eux se baguenaudaient dans le paradisiaque jardin d’Éden lorsqu’ils découvrirent l’un de ces magnifiques pommiers qui illustrent si bien nos actuels bocages normands. Craignant peut-être qu’ils ne prennent goût au cidre bouché sinon même au calvados et qu’ils ne découvrent ainsi des secrets inavouables, Dieu leur interdit d’en croquer les fruits. Ils n’en tiendront, bien sûr, aucun compte. Fort irrité, Dieu les condamna à gagner leur pitance à la sueur de leur front. Des mauvais esprits estiment qu’on leur doit ainsi l’obligation de travailler avec les terribles conséquences que l’on sait : la fatigue, le mal de dos, le "burn-out" et la CGT. Pour être juste, on leur devrait également les congés payés, les RTT et, en définitive, notre civilisation post-moderne du flux perpétuel. Il était cependant une autre injonction à laquelle nos deux rebelles se gardèrent bien de se dérober. Si l’on en croit le Livre de la Genèse (chapitre 1, verset 28) Dieu les aurait, dès le départ, fortement incités à croître et à se multiplier. Ils obéirent, cette fois, sans barguigner. Mais était-il vraiment nécessaire de le leur recommander ? Comme tout ce qui vit sur Terre, l’Homme est astreint à la loi d’airain de la sélection naturelle : perpétuer l’espèce. Un peu plus de 100 000 ans après la scène décrite plus haut, un petit demi-million d’hommes dits modernes devaient, en tout et pour tout, peupler la Terre. Ils étaient 680 millions lorsque Louis XIV inaugura la galerie des glaces, 2, 758 milliards lorsque Pierre Mendés-France accéda à la présidence du Conseil et 7 584 857 698 le 30 novembre dernier à minuit. Comment ce bipède relativement chétif a-t-il pu ainsi conquérir jusqu’au moindre recoin de sa planète ? Depuis la nuit des temps, la rencontre entre les hommes et les femmes a longtemps été le privilège du hasard. Réunions de famille, bals du samedi soir, promenades au bord de l’eau, tout pouvait y conduire. Les astres eux-mêmes se virent accorder crédit à travers les horoscopes. Un natif du Lion fera un bon époux pour une native de la Balance mais un Gémeaux et une Vierge ne sauraient convoler durablement. Jusqu’au jour où les sites de rencontres virent le jour sur internet. Grâce à de longues listes de questions et à de puissants algorithmes, ils prétendent aujourd’hui remplacer les marieuses d’autrefois. Mais comment les humains sont-ils réellement attirés l’un vers l’autre ? Nous savons que leurs sens interviennent dès le premier abord. La vue si sensible aux formes, l’odorat aux parfums capiteux plutôt qu’aux relents d’ail ou d’oignon, le toucher toujours en quête de tendres caresses et l’ouïe qui sera d’emblée charmée par une voix mélodieuse. Selon les biochimistes, ces premiers troubles déchaîneraient des flux d’hormones conduisant le cerveau à approfondir la relation et plus si affinités. Les chercheurs en neurosciences parlent quant à eux d’impulsions électriques de synapses en neurones jusqu’à l’explosion de ce que les poètes romantiques appellent le "coup de foudre". Quelle que soit la méthode utilisée par la nature, reconnaissons que ces grains de folie que leurs victimes appellent "amour" se sont jusqu’ici révélés d’une redoutable efficacité pour surpeupler notre petite planète. Ce qui laisse bien des choses à penser pendant les longues soirées d’hiver qui approchent.

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L
On perpétue l'espèce...Mais l'espèce de quoi ?
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