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Chroniques d'un vieux bougon
5 décembre 2017

L'art de la conversation.

conversation

      Comme ces longues maladies qui prennent leur temps pour se déclarer, l’affaire couvait depuis plusieurs mois. Elle hantait les commentaires au bureau de tabac-presse, échauffait les discussions à la boulangerie, alimentait les propos acerbes de la pharmacienne et empoisonnait les conversations des parents d’élèves à la sortie de l’école. Il suffisait d’une étincelle pour qu’elle éclate au grand jour. L’explosion se produisit au cours de la dernière réunion du Conseil Municipal. Le maire en personne annonça incidemment qu’attendu les baisses significatives des dotations de l’État, le refus de la présente assemblée d’augmenter encore les trop lourds impôts qui accablent tant les citoyens électeurs et la jurisprudence en la matière, la commune ne saurait financer la réfection du chemin privé conduisant au domicile de l’ancien maire par ailleurs décédé depuis cinq ans. Un grand cri retentit parmi l’assistance. Échevelée, livide et l’index osseux dressé vers le ciel, sa veuve se leva d’un bond et apostropha les élus d’un déluge de paroles incompréhensibles. Il faut dire qu’habituée depuis sa plus tendre enfance à prendre ses envies pour des idées et à les voir aussitôt concrétisées, elle pouvait difficilement accepter de s’entendre refuser sa dernière lubie.  Elle ne fait là, hélas, que refléter l’attitude si fréquente de tout un chacun dans nos sociétés consuméristes post-modernes au flux perpétuel : aussitôt aperçu, aussitôt désiré, aussitôt acheté, aussitôt livré. C’est avec la même impatience que toute question exige une réponse immédiate. Cherchiez-vous autrefois l’orthographe exacte du mot achondroplastasie dont ne sait jamais où poser le h, cherchiez-vous la vitesse du vent dans les branches des sassafras ou cherchiez-vous simplement l’âge du capitaine, vous vous leviez jusqu’à la bibliothèque où trônait, à portée de main, le gros dictionnaire Larousse offert par vos parents pour célébrer votre entrée en sixième et feuilletiez avec fébrilité. Vous ne trouviez pas toujours et vous remettiez votre exploration au lendemain sinon à plus tard encore. La réponse n’était pas, après tout, d’une importance telle qu’elle exigeât que vous abandonnassiez vos amis, même quelques instants. Aujourd’hui, le dictionnaire est enfoui tout au fond du placard. Vous interrogez internet avec votre téléphone constamment à portée de la main pour le cas où un message tomberait, vous tapotez avec impatience et vous relevez la tête le visage traversé d’un large sourire pour clamer haut et fort la solution si fondamentale à la discussion en cours. Las, vos commensaux ont eu le même reflexe que vous et sont plongés comme vous l’étiez quelques secondes plus tôt dans les méandres planétaires des circuits électroniques. Vous espériez briller. Vous devrez vous contenter d’attendre. Et comme vous ne savez plus jouir des secondes ainsi gagnées par la précipitation, vous interrogez vos boites "mails", les nouveautés sur You tube ou Instagram et les dernières "infos" si souvent sans intérêt qui défilent sur votre écran. Le dessert arrive et vous n’avez guère échangé plus de trois mots avec la tablée qui vous entoure. Qu’à cela ne tienne, vous vous reverrez demain ou la semaine prochaine : on se téléphone ! Il fut un temps où la conversation était un art où il était de bon ton de se montrer galant et spirituel. Mais c’était un temps où l’on aimait prendre le temps. L’art d’aujourd’hui est de montrer diligence et efficacité au risque de l’incorrection sinon même de la muflerie. Ce qui laisse bien des choses à penser avant les réunions de familles qui s’annoncent.

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Commentaires
A
Chez moi en tout cas, les téléphones portables et autres Iprout sont bannis (je n'en ai pas), les enfants et petits-enfants râlent, mais n'ont pas le choix :-)
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A
Jolie reprise du tableau de Renoir cet arrêt sur image pour illustrer le plaisir qu'on peut trouver à prendre son temps.
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C
Mon dieu j'ai reconnu beaucoup de mes amis, mais ne vont-ils pas me reconnaître moi-même ?...Mais ne battons pas trop notre coulpe : je préfère encore le dictionnaire à Google
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M
Lorsque j'étais jeune, on se passait du téléphone. On se parlait ou on s'écrivait. j'ai gardé quelques lettres de mon papa, très bien écrites, sans fautes, et d'une jolie écriture très lisible. Jean d'Ormesson avait l'art de la conversation et j'aimais l'entendre à la télé.<br /> <br /> Je déteste le téléphone. Mais on est obligé de s'en servir.
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L
Je vais réduire le temps informatique...
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