Le prix d'un moineau
La Marche nuptiale du Songe d’une nuit d’été de Félix Mendelssohn donné la semaine passée à l’Opéra-Théâtre de la Grande Ville trotte dans ma tête comme une ritournelle. La mise en image, comme elle dit, de Juliette Deschamps était audacieuse et originale. L’Orchestre Symphonique de Bordeaux-Aquitaine conduit par Paul Daniel n’en a pas moins respecté le compositeur et Shakespeare lui-même.
Ici, également, l’été est fini. Les récoltes estivales sont achevées depuis longtemps. Les moutons paissent dans les prairies. Les vaches ruminent dans leurs enclos. En un mot, la campagne a retrouvé toute sa tranquillité.
Mille rumeurs agitent toutefois le monde qui l’entoure et les médias s’en font l’écho aussi fidèlement que leur permettent leurs contrats publicitaires. Tremblements de terre, typhons, inondations, glissements de terrain, guerres, attentats…La fièvre habituelle de notre planète depuis la nuit des temps. Mille scandales éclaboussent également les palais et animent les salles de rédaction. Ils alimentent le tintamarre et sèment embrouillements et confusion. L’État est corrompu, la République se délite, la France se décompose, le Monde se meurt. En attendant le prochain esclandre qui ajoutera au tohubohu. Et si la campagne, quant à elle, respire, drames et tragédies ne l’en atteignent pas moins elle aussi.
C’est ainsi qu’il y a quelques semaines, j’ai découvert au pied d’un châtaigner le corps inanimé d’un modeste moineau. Quelques plumes que la rosée faisait briller au soleil de juillet. Est-il mort empoisonné par les multiples pesticides et autres herbicides dispersés un peu partout par des paysans en quête de survie ou simplement mordus par l’appât du gain ? Quelque prédateur en quête de nourriture l’aura-t-il mortellement blessé avant de s’en détourner pour une proie plus appétissante ? Impossible de le savoir au premier coup d’œil. Et la vie d’un moineau est de si peu de poids dans le maelstrom qui ébranle l’univers qu’on ne le saura sans doute jamais !
Je rapportai malgré tout le fait sur l’un de ces réseaux sociaux sur internet que Michel Serres appelle dans son Petite Poucette, fesse-bouc. Croyez-vous que l’un ou l’une de mes nombreux "followers" compatit ? Que nenni. On accusa même mon chat César d’être l’auteur du forfait. Accusation sans preuve, bien sûr. Sans même que la plus élémentaire enquête ait été diligentée par le plus discret des procureurs. Sans arrestation, sans garde à vue, sans présentation à un juge, sans mise en examen, sans incarcération préventive pour le cas où le suspect tenterait de migrer vers d’autres cieux. Quelques lettres tapées distraitement sur un clavier et la réputation de mon brave César se trouva dès lors piétinée et détruite à jamais.
On dira que c’est dans l’ordre des choses que les chats attrapent les oiseaux et qu’il n’y a pas là de quoi monter une polémique. L’expérience montre pourtant qu’il en est de même pour l’homme. Il y prend même manifestement plaisir. Les bandits, les tricheurs, les jaloux et les malveillants troublent la vie paisible des honnêtes gens depuis toujours et la rumeur de leurs méfaits défraie chaque jour les chroniques. Mais la vie d’un moineau est de trop peu de poids pour intéresser quiconque. Sa mort ne s’inscrira même pas dans le long registre des dérisoires convulsions de l’Histoire. À l’image, d’ailleurs, de celles qui survolent, futiles et dérisoires, la vie de nos gouvernements et de leurs états et qui crée, malgré tout, tant et tant de controverses que l’on ne sait même plus où se nichent la vérité, la posture ou la malhonnêteté. En un mot, la mort de ce moineau de peu comme celle de tant d’hommes, de femmes et d’enfants de par le monde ne pèsera pas plus que l’écume ordinaire des choses.
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