Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Chroniques d'un vieux bougon
9 octobre 2018

Humeur

humeur

J’ai parfois un peu honte de ma génération. Celle qui célébra ses vingt ans  les pavés de mai 68 à la main. Née après la guerre, elle n’en connut pas les restrictions de nourriture et de liberté. À la Libération, le Pays était à reconstruire. Elle en devint d’autant plus précieuse aux yeux de la société qui inventa la Sécurité Sociale pour qu’elle soit mieux soignée et grandisse dans les moins mauvaises conditions. Un Président du Conseil fit même distribuer du lait dans les écoles publiques pour pallier, au moins officiellement, aux derniers problèmes de malnutrition.

Trop jeune pour être envoyée sur les champs de bataille de la décolonisation, cette génération n’en connut pas les affres et les douleurs. Mais elle piaffait d’impatience face à ce monde qui s’ouvrait devant elle. Nombreuse et ardente, elle bouscula bientôt l’ordre établi. D’abord pour obtenir pour les garçons le droit de visite dans les dortoirs des filles afin de mieux préparer dans la collégialité les examens à venir. Puis pour mettre en pratique les nouvelles libertés offertes par les études universitaires et la pilule contraceptive. Il ne fallut pas longtemps aux "révolutionnaires" pour s’emparer des leviers de commandes dans les administrations, les entreprises et l’État.

C’est alors que l’on prit conscience qu’il devenait choquant pour ne pas dire pitoyable et injuste de laisser vivre les vieux avec le maigre pécule qu’on leur abandonnait à leur mise au placard quelques années seulement avant leur mort. On augmenta progressivement cette pension inventée au sortir de la guerre. Ceux-là qui avaient connu, eux, les souffrances de la déportation, des stalags ou de l’occupation nazie et avaient travaillé dur pour élever, former et éduquer ces nouveaux et brillants actifs, méritaient bien de pouvoir couler leurs derniers jours décemment. Le principe en est simple. Celles et ceux qui travaillent cotisent pour abonder les caisses destinées aux retraités. Mais ces prélèvements solidaires sur les revenus pesèrent bientôt trop lourdement sur les porte-monnaie avides de loisirs. On finança sans vergogne par l’emprunt. Les générations suivantes n’auront qu’à se débrouiller !

En 1914, un ouvrier ou un paysan vivaient, en gros, 500 000 heures. Comme ils travaillaient 200 000 heures et dormaient autant, il leur restait 100 000 heures pour apprendre, aimer, prier, boire, lire, écouter de la musique, rire, voyager. En un mot pour vivre. Aujourd’hui, l’espérance de vie est, en gros, de 700 000 heures. Nous ne travaillons plus que 70 000 heures et nous étudions 30 000 heures. Comme nous dormons deux heures de moins par jour que nos anciens, il nous reste 400 000 heures pour aimer, prier, boire, lire, écouter de la musique, rire, voyager. En un mot, pour vivre. Et que faisons-nous, nous que les étoiles ont plutôt favorisés ? Nous nous plaignons !

    Nous nous plaignons du vent, de la pluie, de la canicule, de la sécheresse, du mauvais temps en général après avoir allègrement œuvré à démultiplier la pollution et le dérèglement climatique. Nous nous plaignons des ralentissements de la circulation à la campagne comme à la ville. Nous nous plaignons de n’avoir pas de fraises à noël pour accompagner nos délires de consommation. Nous nous plaignons de l’absence de goût des tomates qui sont toujours trop chères, sans considération aucune pour ceux qui les produisent. Nous nous plaignons de voir nos revenus diminués de quelques dizaines d’euros. « Nous irons moins au restaurant ! » « Nous voyagerons moins loin ! » « Nous changerons moins de voiture ! »

     Nous devrons nous y faire. Nous avons mené le jeu pendant quarante ans mais nous avons perdu la main ! Et, tout naturellement, au profit de nos propres enfants que nous avons élevés, instruits et éduqués et qui tiennent aujourd’hui les cordons de la bourse.

    Reconnaissons toutefois que ces soixante-huitards qui se lamentent demeurent encore très actifs et s’investissent souvent dans les associations caritatives tout en aidant leurs enfants et surtout leurs petits-enfants qu’ils ont la chance aujourd’hui de voir entrer dans la "vie active". Alors, cessons de geindre et de récriminer et employons-nous plutôt à corriger les erreurs que nous avons pu commettre !

(Suivre régulièrement les chroniques du vieux bougon en s’abonnant à newsletter)

Publicité
Publicité
Commentaires
C
Juste après les guerres coloniales, entre pilule et sida, nous avons certes eu de la chance, mais l'homme est insatiable...
Répondre
R
Quelle belle leçon de vie vous nous donnez là ! J'aurais aimé qu'une voix comme la vôtre tempère les enthousiasmes de ces jeunes gens qui sont en train de mettre au point les technologies de l'intelligence artificielle, croyant conduire l'humanité vers une ultime perfection progressiste mais la menant, tel un troupeau de Panurge, vers le genre d'enfer décrit par G Anders...
Répondre
L
Cher Vieux Bougon, dois-je rappeler ici ce qu'avait prédit, en 1956, Günther Anders, à savoir "L'obsolescence de l'homme". La technique (et son techno-fascisme) a de quoi faire regretter la vie de nos aïeux, en effet. En cette époque les gens se parlaient, utilisaient la parole qui a été, aujourd'hui, remplacée par les écrans divers. Et avec l'intelligence artificielle, que le mathématicien anglais Hawkins avait tant mis en garde contre la créature que l'homme ne pourra contrôler... Alors peut-être, comme dans la chanson, c'était mieux avant...
Répondre
L
Pendant ma vie active j'ai payé pour les anciens sans me plaindre...
Répondre
M
Superbe article, j'ai envie de faire un commentaire à chaque paragraphe.<br /> <br /> Mes parents disaient en parlant de la période entre les deux guerres; "c'était le bon temps". Je trouvais qu'ils radotaient et j'en fais autant pour la période après guerre. Evidemment, on travaillait beaucoup et on avait moins de vacances. Mais on en profitait mieux. Pas de télé, mais des jeux de société. Pas de sonos, mais des bals avec de vrais orchestres. Pas de voyages lointains, mais on connaissait mieux sa région. Pas de nourriture importée, mais ce qu'on mangeait était meilleur. Pas de voiture, mais des transports en commun bien organisés. Une vie plus courte, mais pas d'acharnement thérapeutique. Tout ce qu'on avait était peut-être plus cher, mais de bonne qualité, et on gardait les choses longtemps...même les vêtements. Je pourrais citer beaucoup d'autres exemples. Je vais peut-être faire un article sur mon blog.
Répondre
Chroniques d'un vieux bougon
Publicité
Chroniques d'un vieux bougon
Albums Photos
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Publicité