Peste et choléra.
Accrochée à mi pente de la colline pour s’abriter des vents de bise et de traverse, l’antique ferme remontant au moins au 19ième siècle offre goulument sa façade grisâtre de calcaire charentais au soleil de midi. Dressé sur la pierre du seuil, Benoît accueille les rares visiteurs qui ont répondu à son appel. Regardez, dit-il en désignant l’autre versant de la vallée. Au sommet "débarrassé" de ses chênes et de ses châtaigniers, un pylône dessine un trait métallique sur le ciel. Ils vont en planter six autres comme ça et y pendre des pales. Le paysage est complètement défiguré !
La quarantaine chevelue et dégingandée, Benoît avait décidé, au décès de son grand-père, de quitter son poste de cadre dans une multinationale pour s’adonner, avec sa nouvelle compagne, à la permaculture. Loin de l’effervescence citadine et au milieu du bon air des arbres, ils goûtent ainsi pleinement aux plaisirs du travail de la terre. Une terre certes rude et avare mais qui leur donne en retour un paisible bonheur campagnard. Hélas, la civilisation du mouvement perpétuel les a impitoyablement poursuivis jusque dans les fonds perdus des Monts. Ils nous ont réunis pour nous prendre à témoin de leur infortune et nous convaincre de nous révolter contre cette modernité envahissante.
Nous compatissons, bien sûr, tout en trempant prudemment nos lèvres dans un verre de cidre de leur fabrication au piquant goût clairet. Au centre de la table, un écran expose un défilé d’images d’éoliennes photographiées sous tous les angles. Preuve que l’électricité arrive jusqu’à leur maison malgré son isolement. Vous auriez préféré une centrale à charbon pour vous fournir du courant, questionne d’une voix malicieuse l’institutrice à la retraite qui nous a conduits jusqu’ici ? Ils ne préfèrent rien du tout. Ils veulent simplement de l’électricité pour jouir de leur ordinateur, faire tourner leur réfrigérateur et leur lave-linge et lire des livres sur l’écologie même à la nuit tombée sans que leur vue soit gâchée, le jour, par ces horreurs inesthétiques. On comprend bien, temporise un grand gars à la barbe blanche et au crâne dégarni, mais les éoliennes sont tout de même moins polluantes que des cheminées crachant des fumées noires !
La pollution cause en effet, selon l’OMS, plus de 3 millions de morts par an de par le monde, dont 48000 en France. Son éradication représente donc un enjeu de santé publique considérable. L’air vicié des villes redeviendrait respirable, les murs des monuments conserveraient leur blancheur restaurée et les enfants pourraient jouer dans les parcs arborés sans risquer une pneumonie ou un cancer du poumon. Mais toutes ces particules en suspension dans l’atmosphère ont tout de même l’avantage de piéger les rayons du soleil et de les renvoyer vers l’espace. Limitant d’autant le réchauffement climatique.
Car le réchauffement climatique crée lui aussi de graves perturbations telles que la fonte des glaces des pôles et l’élévation du niveau des océans ainsi que des sécheresses, des tempêtes et des inondations de plus en plus fréquentes et de plus en plus dévastatrices. Sa maîtrise représente donc également un enjeu de survie considérable pour la planète elle-même. Faudra-t-il choisir entre ces deux maux ? Peut-on même choisir ? Et exiger, en même temps, de conserver le confort auquel nous sommes si attachés ?
Benoît hoche la tête, désabusé. Que pourrait-il répondre ? Nous nous sommes engagés dans un engrenage infernal, constate notre guide tandis que nous redescendons vers la combe. Nous, les vieux, nous ne le subiront pas. Mais eux, ils devront vivre avec.
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