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Chroniques d'un vieux bougon
15 janvier 2019

Jaune hivernal

jaunisme

Sous nos contrées à climat tempéré, l’année se décompose traditionnellement en quatre parties. Le solstice d’hiver convoque les vents de bise qui sèment le gel dans les flaques d’eau et enroulent des congères au bord des routes de montagne ; en contrepartie, le soleil se lève de plus en plus tôt et se couche de plus en plus tard. L’équinoxe consacrera l’égalité entre le jour et la nuit et l’arrivée de la reverdie. Les forsythias illuminent les palisses, les primevères les talus et les hirondelles font leur nid. Le solstice d’été met fin à la progression du jour, les jeunes hommes sautent au-dessus du brasier allumé au centre du village pour séduire les filles à marier et, éventuellement, les autres. Le curé célèbre la Saint-Jean à coups d’eau bénite. C’est l’heure des vacanciers et des moissons. Faucher les blés, battre les gerbes dans la sueur et la poussière et remplir les greniers occupera la paysannerie jusqu’à l’équinoxe suivant. Les vacanciers reprennent alors leur travail, les vendangeurs vendangent, et les chasseurs invétérés se lancent à la poursuite des lièvres et des lapins. Pour les accompagner comme il se doit, l’automne jette sur les futaies ses fagots de couleurs fauves jusqu’à ce que la dernière feuille, poussée par un vent de traverse, s’échoue dans l’ombre du sous-bois. Le cycle des saisons arrive ainsi à son terme avant de reprendre sa course guidée par le soleil d’un nouveau solstice.

Certes les travaux des champs ont aujourd’hui perdu leur poésie d’antan et sont essentiellement exécutés par des machines. Mais la répartition des saisons au cours de l’année demeure la même qu’il y a 10 000 ans et celle des couleurs naturelles également. Le safran des crocus ponctue le vert printanier, l’ambre des blés éclaire les mois d’été et mille écus d’or s’entassent au pied des bouleaux à l’automne venu. Mais de mémoire de paysan, on n’avait encore jamais vu la couleur jaune illustrer, en hiver, les carrefours des routes secondaires.

Il n’est plus, de nos jours, de bourg, de chef-lieu de canton, de sous-préfecture ni, bien entendu, de capitale départementale, régionale ou nationale sans son chapelet de ronds-points. On bâtissait autrefois des remparts dans l’espoir de protéger les citadins. La modernité du flux perpétuel a créé, à la place, des voies de contournement, des boulevards extérieurs et des périphériques reliés à des ronds-points qui distribuent les automobilistes aux quatre coins des campagnes.

L’hiver a hélas, comme on l’a vu, la fâcheuse habitude de dénuder les arbres et les haies et de n’en laisser apparaître que de maigres squelettes bousculés par les bourrasques, les rafales de pluies glacées et les averses de neige. Afin de rendre ces lieux de rencontres plus plaisants, nombre de citoyens s’étaient donc employés à les agrémenter, bénévolement, de jaune. Jaune aurore, jaune beurre, jaune bouton d’or, jaune citron, jaune cobalt, jaune mimosa, jaune impérial, jaune paille et, surtout, jaune fluorescent afin d’alerter les automobilistes. En arrivant à proximité, ces derniers arrêtaient leur véhicule et demandaient poliment l’autorisation de poursuivre leur route. Débonnaire, le gardien de service abandonnait le libre passage sans exiger d’autre octroi qu’un salut de la main ou une carillonnée d’avertisseur sonore. Ainsi ces lieux défavorisés par leur isolement et les intempéries découvraient-ils enfin une vie sociale chaleureuse et colorée. 

Hélas, est-ce la fatigue ? Est-ce la désillusion ? Est-ce le découragement ? Ces gentils animateurs rejoignent de moins en moins nombreux leur poste à l’orée des agglomérations. Ils préfèrent désormais déambuler le samedi dans le centre des villes. Ils y arborent leur gilet jaune, crient des slogans révolutionnaires, s’arrêtent parfois ici ou là pour boire de la bière et fumer entre copains et, comme les jeunes d’autrefois à la Saint-Jean, allument de grands feux en chantant la carmagnole.  Privés de leur jaune sociétal, de plus en plus de ronds-points retombent dès lors dans leur triste banalité routière. La nature reprend ses droits. ( Suite à la chronique du Vieux Bougon du 6 décembre 2018)

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Commentaires
F
La couleur jaune n'avait pourtant pas bonne réputation depuis l'emploi des briseurs de grèves des années 1870, puis le marquage à l'étoile d'une population à exterminer... <br /> <br /> Force est de reconnaitre qu'en occupant les ronds-points que tu décris bien et les samedis d'avant fêtes vêtus de laids vêtements de "haute visibilité", ce mouvement populaire a fait de très bons choix de visibilité. Il hurle des désespoirs que le syndicalisme méprisé porte depuis des années, mais ne parvient plus à faire entendre. <br /> <br /> La "charité sociale" sous forme de primes, le panneau 80 km/h, les manches retroussées de la chemise blanche d'un président fort bon bretteur verbal tentant de retourner 600 maires, l'illusion d'un débat... suffiront-ils à ranger les gilets ?
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L
Un bonjour hivernal...
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